« Il faut multiplier les expériences d’agriculture pirate en ville »

La crainte des pénuries alimentaires réveillée par la pandémie du coronavirus a rappelé notre dépendance aux importations agricoles. Pour la géographe Flaminia Paddeu, l’agriculture urbaine pourrait être une piste prometteuse pour « le monde d’après ».

flaminia-c-violeta-ramirez-2020
La géographe Flaminia Paddeu. Photo : © Violeta Ramirez

Flaminia Paddeu est géographe, actuellement maîtresse de conférences à l’université Sorbonne‐Paris‐Nord et chercheuse au laboratoire Pléiade. Ses recherches portent sur les pratiques agricoles et de subsistance dans les grandes métropoles aux États‐Unis et en France. Elle a notamment publié dans le Dictionnaire critique de l’anthropocène et dans Pour la recherche urbaine. Elle prépare actuellement un ouvrage sur l’agriculture urbaine à Paris, New York et Detroit. Elle est membre fondatrice et directrice du comité scientifique de la revue Urbanités.

> Cet entretien a été initialement publié le 26 avril par notre partenaire Mediapart.

Que pèse aujourd’hui l’agriculture urbaine en pourcentage des denrées alimentaires et est‐ce, dans les pays occidentaux, autre chose qu’une activité anecdotique ?

Flaminia Paddeu : D’après la FAO [l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture], l’agriculture urbaine est pratiquée aujourd’hui par 800 millions de personnes, qui produisent environ 15% des denrées alimentaires mondiales. C’est donc loin d’être anecdotique, surtout quand on sait que la majorité de ces denrées servent à l’autosubsistance des ménages. Mais dans les pays des Nords, l’agriculture urbaine se fait plus discrète. En Île‐de‐France, les surfaces cultivées occupent 73 hectares, soit l’équivalent des parcs de la Villette et des Buttes‐Chaumont réunis. La moitié sont des jardins familiaux et ouvriers, souvent cultivés par des habitants des quartiers populaires, d’origine étrangère ou âgés. Dans des cas extrêmes, comme à Detroit aux États‐Unis, on a avancé l’existence de 1 500 fermes et jardins, impliquant directement jusqu’à 23 000 personnes.

Ces chiffres sont terriblement parcellaires et ne permettent de saisir la réalité que de manière très imparfaite. Dans l’imaginaire collectif, l’agriculture urbaine est associée aux jardins partagés fréquentés par les classes moyennes et supérieures, voire à l’agriculture high‐tech sur les toits des immeubles. Mais en allant sur le terrain, on se rend compte qu’il y a une multitude de potagers informels, cachés aux confins d’une friche boisée ou entre des bâtiments.

Ils ne sont pas comptabilisés, alors qu’ils permettent la survie de populations marginalisées. Les potagers privés sont aussi largement invisibilisés. L’enquête d’un géographe a montré qu’à Rennes, Caen et Alençon les surfaces privées dédiées à la production potagère sont parfois plus importantes que celles des potagers collectifs. En été, la consommation de ces jardiniers en fruits et légumes est quasi assurée, partiellement le reste de l’année. Pour beaucoup de foyers, l’agriculture urbaine n’a rien d’anecdotique, au contraire, elle est la condition même de leur subsistance.

Comment l’agriculture urbaine, qui a longtemps fait partie des paysages urbains, s’est-elle effacée, et qu’est-il advenu depuis un quart de siècle pour que nous nous remettions à cultiver dans nos villes ?

Au XIXe siècle, des cultures céréalières, des ceintures maraîchères, des vergers et des élevages urbains permettent d’approvisionner les villes des Nords et de soutenir une petite économie agricole de proximité. Aux pieds de la tour Eiffel, on pratique la grande culture du colza, puis un maraîchage intensif. À Montreuil, les murs à pêches couvrent 300 kilomètres de murs. Des milliers de cochons charognards vaquent en liberté dans les rues de New York : ils fournissent une subsistance aux pauvres tout en assurant le nettoyage des rues.

Mais, dès le début du XXe siècle, le crépuscule du maraîchage apparaît à l’horizon des villes occidentales. Face aux expropriations, les jardins sont relégués aux portes des villes, puis à leurs couronnes. Pour finir par disparaître. Cette grande …

Nous vous offrons l’accès à cet article

Et à toutes nos enquêtes pendant deux jours  !
Oui, on est généreux 😉 Mais pensez aussi à vous abonner  !

En renseignant votre adresse, vous acceptez nos conditions générales d’utilisation.
Mediacités s’engage à ne pas céder votre adresse à des tiers. En cas d’échec, écrivez à contact@mediacites.fr
  • J’accède aux 4 éditions de Mediacités (Lille, Lyon, Nantes et Toulouse)
  • Je découvre un média 100 % indépendant, avec 0 % de publicité

Attention, journal en danger !

Depuis huit ans, Mediacités propose un journalisme d’investigation sur les pouvoirs locaux et ses enquêtes ont de l’impact dans les villes. Aujourd’hui notre existence est menacée.
Soutenez la rédaction, ses journalistes et la démocratie locale :

Je soutiens Mediacités

  • en vous abonnant (69 € par an ou 7,90 € par mois, résiliable à tout moment et facilement) pour lire toutes les enquêtes
  • en effectuant un don (défiscalisable à 66%) pour soutenir le travail et assurer la survie d’un journal local indépendant, sans pub et à impact.

Publié le

Temps de lecture : 12 minutes

Favorite

Par Joseph Confavreux (Mediapart)

Attention : journal en danger !
Soutenez Mediacités !

Depuis bientôt huit ans, notre journal d’investigation propose des enquêtes sur les pouvoirs locaux dans les grandes métropoles. À Lille, Lyon, Nantes et Toulouse, des dizaines de journalistes publient en toute indépendance des informations inédites qui nourrissent le débat public et produisent de l’impact.
Aujourd’hui, notre campagne de financement participatif à atteint la moitié de l’objectif. Mais nous avons encore besoin de votre aide.
On vous explique tout ici :

Comment soutenir Mediacités ?

D’ici au 31 décembre, chaque coup de pouce compte !

Ceci fermera dans 25 secondes