À l’occasion des législatives, ce n’est pas seulement la composition de l’Assemblée nationale des 5 prochaines années qui se joue. Il en va également – à travers le nombre de voix et le nombre d’élus obtenus – du financement public des partis politiques pendant toute la prochaine mandature. Le sujet se trouve donc au coeur des tractations d’alliance électorale, à gauche comme à droite.
En façade pourtant, la question semble tabou. « Ce n’est vraiment pas le sujet pour nous », a balayé Ian Brossat, porte‐parole communiste, lorsque nous lui avons proposé un entretien sur les négociations en cours avec les Insoumis.
« La position de LFI, c’est de proposer une bannière commune et de redistribuer proportionnellement aux résultats, nous confie en revanche une source au sein de la formation de Jean‐Luc Mélenchon. Par exemple si un parti fait 10 %, on lui reverse 10 % de la dotation, c’est le plus logique. » Sauf que la logique d’attribution de l’aide publique pousse à se présenter dans un maximum de circonscriptions.
Comment les partis gagnent (ou perdent) des millions aux législatives ?
Au sein du camp présidentiel, les négociations avec des formations satellites de plus en plus nombreuses sont également tendues. Car à côté du MoDem, le partenaire historique, on trouve désormais Horizon, le parti de l’ex-Premier ministre, Édouard Philippe, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles et qui a donc besoin d’en acquérir les moyens financiers.
« En politique, il faut aller chercher sa part du gâteau, comme nous l’avons fait il y a cinq ans », confie le député MoDem, Erwan Balanant. Certains de ses collègues ont pourtant eu un curieux parcours. D’abord investis par LREM au moment des élections, certains se sont rattachés, une fois élus, au groupe Modem. Un choix politique pour ces députés, comme l’assure Erwan Balanant ? La pratique serait en fait plutôt le résultat des négociations entre les deux partis, afin que le mouvement de François Bayrou récupère des financements publics, comme l’avait révélé Mediacités en 2018.
Pour la professeure d’économie à Sciences Po Paris et spécialiste du financement des partis politiques, Julia Cagé, ces tractations, parfois très éloignées des programmes politiques, reflètent un système qui ne fonctionne plus. Elle appelle à le modifier en profondeur.
À peine finie l’élection présidentielle, les partis se sont immédiatement projetés sur les législatives et la négociation d’alliances. Quelle est la place accordée aux aspects financiers liés à cette élection ?
Julia Cagé. Ces enjeux financiers tiennent une place ultra importante. Ce qui se joue aux législatives, c’est l’argent public que vont toucher les partis pendant les cinq prochaines années. Si vous voulez présenter des candidats aux élections intermédiaires, c’est en partie cet argent qui constituera votre base financière. Par exemple, certains disent que ça serait un suicide politique pour Zemmour de ne pas présenter de candidats sous la bannière Reconquête!. Je pense qu’ils ont raison. S’il n’y a pas de candidat Reconquête!, il n’y a pas de financement pour les cinq prochaines années. Cela entre évidemment en compte dans les tractations en cours à gauche. Mais également au niveau de la majorité sortante car il y a la question du nombre de circonscriptions pour Horizon, le parti d’Édouard Philippe, par rapport à LREM.
Concrètement, quels sont les points qui font l’objet de tractations dans le cadre d’une coalition ?
Chaque parti veut présenter suffisamment de candidats dans suffisamment de circonscriptions afin de pouvoir toucher la première tranche de financements publics [conditionné par l’obtention d’au moins 1 % des suffrages exprimés dans cinquante circonscriptions au premier tour de l’élection législative, ndlr]. Si LFI dit au PS : « Vous représentez 1,7 % des circonscriptions », comme votre score à la présidentielle, ça ne va pas passer. Il y a donc des négociations et certains candidats vont quand même aller dans des circonscriptions simplement pour avoir plus de 1 %. Potentiellement vous avez intérêt, dans les circonscriptions ingagnables à gauche, d’envoyer des candidats à la fois de LFI, PS, EELV et PCF pour qu’ils aient 1 % des voix et que cela compte pour les financements. En revanche, dans les circonscriptions potentiellement gagnables, vous n’en envoyez qu’un seul pour être sûr d’aller au second tour. Cela fait partie de ce qui est en train de se jouer aujourd’hui.
C’est un système qui profite énormément aux gros partis et est inégalitaire.
La porte‐parole d’Europe-Ecologie-Les Verts, Marine Tondelier, nous a indiqué qu’EELV considérait que « c’est au parti politique d’assumer le coût des campagnes ». Ces frais entrent‐ils également en compte dans les négociations pour obtenir plus de financements publics ?
C’est effectivement la difficulté des écologistes en ce moment. Cela pousse là encore à présenter des candidats un peu partout car chaque voix compte. Sauf que cela coûte cher et que tout le monde n’est pas remboursé. D’où les acrobaties de certains partis. Quand un de leurs candidats est sûr de franchir le seuil des 5 % des suffrages exprimés permettant d’être remboursé, il va inclure dans ses frais plus de tracts et plus d’affiches que nécessaire. Et il va en passer au candidat de la circonscription d’à côté qui, lui, est juste là pour faire 1 % et assurer un peu de financement public au parti. Il ne va pas dépenser beaucoup plus que cela car, à l’arrivée, lui ne sera pas remboursé. Mais ce genre de pratiques devient plus difficile dans le cadre d’une alliance.
Les frais de campagne sont pourtant contrôlés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)…
Oui, c’est contrôlé. Mais il y a 577 circonscriptions avec chacune en moyenne entre 18 et 20 candidats. Alors, certes, la CNCCFP va pouvoir vérifier les dépenses d’impression mais pas ce qui est imprimé ; ni si le candidat à bien utilisé toutes ses affiches et tracts pour lui‐même. Les partis jouent avec ces failles.
Il y a également d’autres dysfonctionnements comme ces micro‐partis qui n’ont politiquement rien en commun mais qui se regroupent sous une même bannière pour avoir le nombre de candidatures et les votes suffisants leur donnant accès aux financements publics. Est‐ce leur seule chance d’exister ?
Ces petits partis ont raison de tirer profit du système. Mais c’est le système en lui‐même qui est problématique, c’est pour ça qu’il faut le changer. On ne peut pas reprocher aux partis d’essayer de tirer profit de ses imperfections.
0n crée des tensions sur des choses qui ne devraient pas être l’enjeu des négociations. Ces règles ne sont pas là pour favoriser ou défavoriser des accords électoraux.
Le système de financement public des partis en lui‐même « obligerait » donc les partis à mettre en place de telles manœuvres ?
Oui d’une certaine manière, car c’est un système qui profite énormément aux gros partis et est inégalitaire. Par exemple, le RN enregistre une énorme différence entre ce qu’il touche pour ses voix au premier tour et ce qu’il touche pour le nombre de ses parlementaires. Tant qu’il n’y a pas de proportionnelle, cela restera ainsi. Je pense que les gros partis, en dehors du RN, n’ont aucune incitation à changer ce système parce qu’il leur bénéficie. Ceux qui n’ont pas ou peu d’élus et ne disposent donc pas des reversements liés au nombre de parlementaires n’ont que la multiplication des candidats pour se financer.
C’est pour cela que je pense de plus en plus qu’il faut changer les règles de financement public des partis. Il faudrait un système qui redistribue les cartes chaque année. Car là, on fige la vie politique pour un intervalle de cinq ans et on crée des tensions sur des choses qui ne devraient pas être l’enjeu des négociations. Ces règles ne sont pas là pour favoriser ou défavoriser des accords électoraux.
Pourquoi le système de financement public des partis a‑t‐il été conçu de la sorte ?
Il a été mis en place en 1988 par le RPR [devenu l’UMP puis LR]. En 1993, le PS l’a retouché. Cela a abouti à un équilibre pour le PS et LR – avec, en complément, des partis essentiellement d’élus locaux, comme le PCF. Mais ce bipartisme n’existe plus car le système d’alternance a changé. On peut dire qu’on est dans un système de tripartition de la vie politique avec trois blocs.
On voit à présent l’émergence de nouveaux mouvements en quelques mois comme LREM ou Reconquête!. Le parti présidentiel est parvenu instantanément à capter à peu près le tiers de tous les financements publics. Cela a constitué un choc énorme pour les anciennes formations. Avant, les partis d’opposition avaient beaucoup plus de députés. En 2017, le PS est tombé à 28 ! C’est d’ailleurs ce qui risque d’arriver à LR cette année. Sauf que LR ne peut pas se faire rembourser ses dépenses de la campagne présidentielle. Le PS, lui, avait anticipé le problème car Hamon avait frôlé la catastrophe en 2017. S’il avait fait moins de 5 % à cette époque, le PS n’aurait pas pu se contenter de vendre Solférino pour survivre. Les Républicains et le Parti Socialiste vont mourir de leur propre système, c’est un peu l’ironie de l’histoire.
Comme vous, de plus en plus d’observateurs soulèvent ces problématiques de financement mais rien ne bouge. Que faudrait‐il pour refonder le système ?
Ce n’est pas évident car quel en serait l’intérêt pour LREM maintenant ? En l’état, ils vont continuer à accumuler des fonds. Et puis ce ne sont pas des sujets dont on parle en dehors des campagnes. Il faudrait que tous les partis au pouvoir se mettent d’accord, mais bon… Quand les partis arrivent au pouvoir ils se retiennent bien de changer ce système. Et cela fait partie des problèmes.
Edit le 05/05/2022 – Suite aux précisions d’Erwan Balanant, le passage concernant son parcours a été modifié. Il ne faisait pas parti des députés rattachés au Modem après avoir été investis par LREM.
excellente analyse, j’ai découvert le fonctionnement des partis politiques l’année dernière…
Si les citoyens savaient je suis sûre que nous changerions de système ..
https://destyneo.com/et-si-nous-labellisions-nos-elus/ ?
et si on supprimai les partis politiques ?