Mediacités versus Alila : le procès du secret des sources

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Jacques Trentesaux, directeur de la publication de Mediacités, Hugo Coignard et Mathieu Périsse, journalistes, et Vincent Filola, avocat de Mediacités, avant l'audience du 17 octobre. Photo : NB/Mediacités.

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Par Nicolas Barriquand

Notre journal était traîné en justice ce mardi 17 octobre par le promoteur immobilier Hervé Legros, pour diffamation. Son avocat Alain Jakubowicz s’en est pris tour à tour à la presse indépendante dans son ensemble et au principe de la protection des sources.

Quand nous avons lancé notre espace La Fabrique, en 2019, nous annoncions vouloir vous raconter les coulisses de Mediacités, vous « ouvrir les portes de notre rédaction ». Ces derniers temps – et nous le déplorons -, ce sont surtout les portes des palais de justice que nous vous invitons à franchir en lisant cette rubrique

Ce mardi 17 octobre, Mediacités était convoqué au tribunal judiciaire de Lyon pour une double procédure en diffamation intentée par le promoteur immobilier Alila et son PDG Hervé Legros. Ce groupe lyonnais, devenu un champion national de la construction de logements sociaux, nous poursuit pour trois articles publiés en février et mars derniers.

Alila : l’envers d’une success story

Dans les deux premiers, nous avons révélé les factures impayées du promoteur auprès de certains fournisseurs et sous‐traitants, et des condamnations au tribunal de commerce. Dans une troisième enquête, il était question du management autoritaire d’Hervé Legros, alors que l’homme d’affaires est actuellement inquiété par une information judiciaire pour harcèlement moral et abus de biens sociaux. Avec son épouse Géraldine Mazier, directrice juridique d’Alila, il avait été placé en garde à vue le 16 janvier dernier.

Quatre heures éprouvantes

Ces deux procès‐bâillons, la présidente de la 6e chambre du tribunal a décidé de les joindre pour une audience qui aura duré quatre heures. Quatre heures éprouvantes pour Jacques Trentesaux, directeur de la publication de Mediacités, cité en qualité de prévenu, et Hugo Coignard et Mathieu Périsse, auteurs des articles, cités en qualité de témoins, qui ont eu maille à partir avec Alain Jakubowicz, l’avocat d’Hervé Legros. Le PDG, qui estime que nos révélations lui ont causé un préjudice « dévastateur », n’était pourtant pas présent à l’audience.

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Jacques Trentesaux, directeur de la publication de Mediacités, Hugo Coignard et Mathieu Périsse, journalistes, et Vincent Fillola, avocat de Mediacités, avant l’audience du 17 octobre. Photo : NB/Mediacités.

L’avocat d’Hervé Legros s’est appliqué à dénigrer le travail de Mediacités pendant toute l’audience – « Je mets des guillemets à ce qu’ils appellent “enquête”… » – et nous a reproché d’avoir « exploité l’affaire Alila pour battre monnaie ». Au‐delà, ce ténor du barreau de Lyon, qui jouit de son statut d’ancien président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), s’en est pris aux médias indépendants en général « ceux de la génération spontanée, qui font florès sur internet », en leur déniant la respectabilité qu’il accorderait à d’autres entreprises de presse. « Mais qui sont‐ils ? Et à quel titre devrait‐on répondre à leurs questions accusatrices ? », a‑t‐il tonné à la barre. Au passage, il décoche aussi l’une de ses flèches à Elise Lucet, la journaliste de Cash Investigation.

Pour l’occasion, Alain Jakubowicz avait convoqué dans la salle une vingtaine de salariés d’Alila, censés démontrer par leur présence le soutien dont Hervé Legros bénéficierait de la part de ses troupes. Ce « kop de supporters », selon l’expression de Vincent Fillola, l’avocat de Mediacités, approuvait – voire riait – à chaque effet de manche d’Alain Jakubowicz.

« Il y a beaucoup de choses à dire sur Hervé Legros, il peut être odieux et maladroit »

Sur le fond, Alain Jakubowicz a reconnu « qu’il y a beaucoup de choses à dire sur Hervé Legros et pas que des choses agréables. Il peut être odieux et maladroit comme tous ces chefs d’entreprise qui vont trop vite ». Avant de dépeindre le PDG en victime : « Après le 16 janvier, la presse s’est fait les gorges chaudes de sa garde à vue. » « Du jour au lendemain, rideau, plus personne ne vous adresse la parole, parce que la presse matraque », assène l’avocat d’Hervé Legros, qui évoque aussi les difficultés rencontrées par son client dans ses relations avec les banques.

Il conteste le sérieux des enquêtes de Mediacités en les réduisant à des échanges avec une poignée d’interlocuteurs. Pour rappel, Mathieu Périsse et Hugo Coignard ont interviewé des dizaines de personnes, collecté des documents (décisions de justice, procès‐verbaux d’audition, bilans financiers) et consacré trois à quatre semaines chacun à leur sujet avant la publication de leurs enquêtes respectives.

Qu’importe aux yeux d’Alain Jakubowicz qui nie le besoin de protéger certaines de nos sources à travers le recours à des propos anonymes. « Que redoutent‐elle ? Hervé Legros n’est pas un parrain de la mafia », ironise‐t‐il, en faisant abstraction de la place qu’occupe Alila, 12e promoteur au niveau national, acteur incontournable du secteur de l’immobilier dans le bassin lyonnais. « Donnez un coup d’arrêt à ce type d’une certaine presse », conclut‐il sa plaidoirie en s’adressant à la présidente du tribunal.

Récupérer des procès‐verbaux

En défense, Vincent Fillola s’insurge contre « le massacre » auquel s’est livré Alain Jakubowicz contre les journalistes de Mediacités, alors qu’Hervé Legros, lui, ne s’est donc pas présenté à l’audience. « Un manque de respect », souligne notre avocat qui pointe ensuite la stratégie procédurale de la partie adverse : poursuivre des extraits d’articles et se garder de contester les faits révélés.

Selon Vincent Fillola, en attaquant Mediacités, Alila a cherché par ailleurs à récupérer des procès‐verbaux d’audition d’anciens salariés interrogés dans le cadre de l’information judiciaire pour harcèlement moral et abus de biens sociaux. De fait, nous avons versé dans notre offre de preuves de tels documents. Conséquence : avec leur accord, l’anonymat de certaines de nos sources a été levé.

De protection du secret des sources, justement, il a été beaucoup question durant cette audience très tendue. Alain Jakubowicz a déploré le recours à un témoignage anonyme dans l’un de nos articles, en remettant en question ce principe intangible de la liberté de la presse. Un « totem déontologique », selon l’expression de Vincent Filola qui a mis en garde le tribunal : condamner Mediacités pour avoir protégé l’anonymat d’une ancienne salariée d’Alila aurait des conséquences désastreuses pour l’ensemble de la presse.

« Les Legros et consorts engorgent les tribunaux, ce sont eux qui matraquent la presse, a conclu l’avocat de Mediacités. Hervé Legros est un puissant qui a le pouvoir de nous étrangler. »

Le tribunal judiciaire de Lyon rendra son délibéré le 21 novembre prochain.

Contre les procès‐bâillons du promoteur Alila, faites un don défiscalisé à Mediacités

Mediacités fait face à une double procédure‐bâillon intentée par le promoteur immobilier Alila. Suite à nos révélations sur l’envers de ses affaires, son PDG Hervé Legros poursuit notre journal non pas avec une mais avec deux plaintes en diffamation.

Deux procédures qui ont pour objectif d’épuiser Mediacités, notamment financièrement : la partie adverse réclame 60 000 euros de dommages et intérêts. Plus que jamais, nous avons besoin de vous pour que cet acharnement judiciaire n’entrave pas nos capacités d’enquête. Pour que les « bonnes affaires » d’un promoteur immobilier ne l’emportent pas sur la liberté de la presse.

Aidez nous à résister face à ceux qui veulent nous faire taire en faisant un don défiscalisé à Mediacités :

 

Dix‐neuf procédures intentées contre Mediacités

Les deux procès‐bâillons d’Alila s’inscrivent dans un contexte de multiplication des procédures contre Mediacités. Depuis notre création, nous avons dû faire face à 19 procédures. A ce jour, nous en avons gagné définitivement 10. Nous avons perdu en première instance contre le maire de Rueil‐Malmaison, Patrick Ollier, mais avons interjeté appel. Les autres sont en cours.

Ces procès nous épuisent : financièrement et humainement. Nous y consacrons trop de temps et d’argent puisque, même en cas de victoire, les frais engagés ne nous sont presque jamais remboursés comme nous l’expliquions dans cet article.

Droit de réponse de la société Alila – 22 janvier 2024

Dans un courrier daté du 16 janvier dernier, la société Alila nous a adressé le droit de réponse ci‐dessous : 

« Votre article qualifie injustement de procédures‐bâillons les poursuites judiciaires intentées par la société Alila en réaction à la publication de précédents articles de votre site Internet.

« Loin de chercher à matraquer la presse, à faire taire qui que ce soit, ou à remettre en cause le secret des sources des journalistes, la société Alila, qui s’est estimée diffamée par ces articles, a souhaité, comme tout justiciable, faire valoir ses droits et obtenir la réparation de ses préjudices.

« Le fait que la Justice vous ait, cette fois, donné raison, ne justifie de classer la société Alila au rang des pourfendeurs de la liberté de la presse. 

« Enfin Alila comme son dirigeant Hervé Legros doivent, comme tout justiciable, bénéficier de la présomption d’innocence dans le cadre des procédures que vous évoquez en ouverture de votre article et au sujet desquelles ils réservent leurs explications à l’autorité judiciaire. »

N’en déplaise à la société Alila, la rédaction de Mediacités maintient l’intégralité de l’article ci‐contre publié le 18 octobre 2023. 

  • Chers amis, ces procédures sont faites pour casser Médiacités ! Pour sécuriser l’association citoyenne que j’anime par ailleurs, j’avais demandé à un avocat chevronné de nous assister. En réponse « nos clients ne sont pas les associations, celles‐ci on leur met une procédure puis une deuxième, chacune leur coûte 5000 euros et à la 3ème elles sont cassées ! » . Votre commentaire traduit bien cet état de fait et conforte les attaquants à attaquer plus encore … Avez‐vous dans vos familles un « oncle d’Amérique ? »

  • Bravo à tous pour votre pugnacité. Je connais personnellement un ancien collège qui a travaillé chez Alila, et qui n’était pas dupe des cages à lapin qu’ils produisaient. Materiaux cheap, delais imposibles, etc…et seminaires à Dubai. Et ceci vers 2015–2016 deja. Clairement, les faits existent et ces proces ne sont que des ecrans de fumée piteux.
    Courage et bravo

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