Mediacités interdit d’accès à la tribune presse de l’hôtel de Région des Pays de la Loire

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Interdit de tribune presse, Antony Torzec, placardisé dans cette salle Poitou du conseil régional des Pays de la Loire. Photo : Florence Pagneux

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Par Antony Torzec (avec Benjamin Peyrel)

Les atteintes à la liberté de la presse montent d’un cran au conseil régional des Pays de la Loire. Non content de ne plus répondre aux sollicitations des journalistes de Mediacités depuis trois ans, le service presse de la Région m’a refusé ce 19 décembre l’accès à l’hémicycle et donc à la tribune presse. Récit d’une nouvelle entrave.

Poli comme je suis, j’avais pris soin, la veille, d’annoncer ma venue pour couvrir le vote du budget 2025 du conseil régional des Pays de la Loire. Un évènement incontournable en raison des coupes budgétaires annoncées par sa présidente, Christelle Morançais. À mon arrivée au guichet « presse » de l’hôtel de Région, je remarque que mon badge est d’une couleur différente (jaune) de celui de mes confrères et consœurs (violet). Alors que je m’apprête à pénétrer dans l’hémicycle pour intégrer la tribune réservée à la presse, un agent de sécurité et une attachée de presse m’indiquent que ma place n’est pas ici. Je dois rejoindre le deuxième étage, pour suivre cette session budgétaire depuis le balcon, avec les lycéens invités.

En vingt‐huit ans de journalisme couvrant l’actualité régionale, jamais les services presse de la Région ne m’avaient refusé l’entrée dans l’hémicycle. Pourquoi aujourd’hui ? « Les journalistes sont nombreux et nous n’avons pas assez de place dans la tribune presse pour accueillir tout le monde. Il n’y a pas de stigmatisation de Mediacités. D’autres journalistes sont concernés », me rétorque Maud Bretignière, la directrice de la communication de la Région. Vérification faite, tout au long de cette première journée de session, aucun journaliste rédacteur n’a travaillé hors de l’hémicycle à part moi.

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Interdit de tribune presse, Antony Torzec, placardisé dans la salle Poitou du conseil régional des Pays de la Loire. Photo : Florence Pagneux

Seul dans une salle

N’ayant pas les moyens de travailler (il ne me faut qu’une table pour poser mon ordinateur et une prise électrique pour le brancher) depuis le balcon de l’hémicycle, je quémande un autre lieu. On m’invite alors à utiliser « une salle prévue pour les journalistes ». Formidable ! Allons‑y donc. Arrivé dans cette fameuse salle, j’y trouve effectivement des écrans diffusant les images de l’hémicycle [voir photo de Une]. Mais impossible d’entendre les propos qui s’y tiennent. Pas de son… La démocratie locale réduite à un pantomime ? Ce n’est pas tout à fait la conception que j’en avais. Finalement, le directeur des services informatiques et de l’immobilier de la Région parvient à réparer les appareils (merci à lui). Une heure après le début des débats, me voilà enfin en situation de travailler.

Quel privilège ! Dans cette salle d’une vingtaine de places assises avec vue sur la Loire, je resterai seul toute la journée. Aucun risque d’être déconcentré par la vue d’ensemble de l’hémicycle. Aucun risque de m’intéresser plus aux échanges – très politiques – qui se jouent entre élus, hors micros, qu’aux propos de l’orateur. Aucun risque d’être distrait par la documentation remise à tous les journalistes, sauf à moi… Le grand luxe, en quelque sorte.

Bizarrement pourtant, aucun autre journaliste ne viendra avec moi dans cette salle bénéficier de ces conditions hors pair. Tous sont dans la tribune de presse où trois à quatre places sont restées inoccupées toute la matinée et sept pendant l’après-midi. Mais, après tout, on me l’a assuré : ma relégation solitaire dans cette salle spéciale n’a rien à voir avec le fait que je travaille pour Mediacités. C’est un problème de place…

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Entourée en rouge, la tribune presse du conseil régional à 15h ce 19 décembre 2024. Photo : Antony Torzec

Quatre ans d’ostracisme

Avouons‐le : après vingt‐huit années d’exercice du métier de journaliste, j’ai le cuir suffisamment tanné pour ne pas être personnellement atteint par ce genre de brimade. Encore que… Mais là, la situation est tellement ridicule qu’elle pourrait même me prêter à sourire. Si elle n’était pas la marque d’une dérive particulièrement inquiétante.

Depuis quatre ans, Christelle Morançais et son cabinet ne répondent plus aux sollicitations des journalistes de Mediacités, sauf lorsque nous les menaçons de saisir la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) pour accéder à certains documents pourtant publics. La rédaction ne reçoit plus ni les communiqués ni les invitations de presse. Pour cette session régionale, par exemple, tous les médias ont été conviés à suivre les débats. Tous sauf… Mediacités. « Peut‐être une erreur dans le fichier presse », rétorque la directrice de la communication de la collectivité, alors même que je lui rappelle que cela fait vingt‐huit ans que j’en couvre les sessions… Étonnamment, lorsque je travaillais pour les radios chrétiennes, aucun exécutif de gauche ou de droite ne m’oubliait.

Depuis quatre ans, toutes nos demandes d’entretien avec la présidente, les élus de la majorité ou des membres des services de la collectivité sont refusées. Raison invoquée ? « Les papiers (sont) systématiquement à charge et mensongers », selon François‐Xavier Richard, son conseiller communication, membre du cabinet de la présidente.

Informer n’est pas un crime de lèse‐majesté

C’est faux. Comme nous le faisons avec toutes les collectivités, nous respectons le principe journalistique du contradictoire à chaque enquête portant sur la Région ou ses satellites. En proposant à ses responsables de prendre la parole. Ce qu’ils refusent systématiquement. Alors, dans la mesure du possible et malgré l’ostracisme dont nous sommes victimes, nous nous débrouillons pour contacter – souvent en off ou sous couvert de l’anonymat – des soutiens de la présidente et de sa majorité pour faire entendre tous les sons de cloches.

Alors, bien sûr, Mediacités est un journal d’investigation. Autrement dit, nous ne sommes pas là pour cirer les pompes des collectivités et des institutions locales. Quand nous enquêtons, le résultat de notre travail les brosse rarement dans le sens du poil. Mais c’est ça le rôle de la presse dans une démocratie qui se respecte. D’autres collectivités, elles, ont d’ailleurs très bien compris qu’informer n’était pas un crime de lèse‐majesté. Malgré des engueulades parfois homériques, elles continuent bon gré mal gré de travailler avec nous. Parce que c’est comme ça que doit fonctionner une démocratie.

D’ailleurs, avec son budget communication annuel de 7 millions d’euros (14 fois plus que le budget de Mediacités), son journal tiré à 1,6 millions d’exemplaires (pour un coût de 3,5 millions d’euros par an), ses comptes sur les réseaux sociaux animés par son équipe et ses photographes, la Région et sa présidente n’ont franchement besoin de personne pour chanter leurs louanges et celles de leur politique. Ils y parviennent très bien tout seuls.

Face au poids de la communication

Face à la puissance et à la force de frappe de cette communication institutionnelle et très politique, le rôle d’un journal comme Mediacités est justement de faire entendre au public une autre voix que les éléments de langage pesés au trébuchet par les experts de la com’. De pointer ce qui dysfonctionne. D’enquêter sur ce que les collectivités et les élus préfèreraient que les citoyens ignorent. Et de le révéler. 

C’est comme ça qu’après un portrait publié en 2017, nous avons dévoilé en septembre 2021 comment Christelle Morançais, réélue trois mois plus tôt, avait modifié les couleurs du logo de la Région pour les adapter à celles de sa campagne électorale. Le fameux « bleu Morançais ». Comme ça que nous avons révélé le coûteux flop de Croissance verte, l’organisme chargé de la transition énergétique en Pays de la Loire. Comme ça qu’en 2023, dans un long portait en deux volets, Mediacités a expliqué comment le cabinet « bunkerisait » une présidente misant tout sur la communication. Comme ça, enfin, que nous avons dernièrement décrypté les coulisses des coupes budgétaires décidées par la présidente de Région, dévoilé ses notes de frais et l’embauche d’un photographe personnel pour les besoins de sa communication.

Ostracisme et dérive délétère

Des informations d’intérêt public qui nous valent donc un long silence depuis quatre ans. Et un ostracisme ridicule depuis ce matin. Il faut le dénoncer, car ces méthodes constituent de graves entraves à la liberté de la presse et à celle du public d’accéder à l’information. Et témoignent d’une dérive délétère.

Après Mediacités, c’est Ouest‐France qui a eu récemment l’occasion de l’expérimenter. Parce que ses journalistes ont écrit sur les coupes budgétaires envisagées par la Région dans différents secteurs, le président du directoire du quotidien a reçu un coup de fil de mécontentement de la présidente Morançais. Une goutte d’eau qui a fait déborder le vase des syndicats de journalistes et du Club de la presse de Nantes. Vendredi dernier, ils dégainaient un communiqué intitulé : « La présidente de la Région des Pays de la Loire doit cesser d’entraver le travail des journalistes. »

Une chose est certaine : ni les menaces ni l’ostracisme n’empêcheront les journalistes de Mediacités de continuer d’investiguer sur le conseil régional des Pays de la Loire. Nous le ferons en passant par les fenêtres si l’on nous ferme les portes. Nous le ferons depuis n’importe quelle salle où l’on nous relèguera. Mais nous le ferons.

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