Combien coûte la réalisation d’une enquête de Mediacités ?

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Illustration : Jean-Paul Van Der Elst.

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Par Nicolas Barriquand

Quel est le prix de l'investigation locale ? De combien d’abonnements avons-nous besoin pour financer un article ? Petit exercice de transparence sur la rémunération de nos journalistes.

Un article de Mediacités, ça coûte combien ? Bonne question ! Vous êtes nombreux à nous l’avoir posée un jour ou l’autre. Nous nous faisions déjà l’écho de vos interrogations dans le premier post de La Fabrique en avril dernier. La réponse tient en deux mots qui ne vous étonneront pas : cela dépend. Mais encore ?

Une partie des articles que nous publions est écrit par l’équipe, « en interne », autrement dit par les rédacteurs en chef (un par ville : Yves Adaken pour Lille, Benjamin Peyrel pour Nantes, Gael Cérez pour Toulouse et Nicolas Barriquand pour Lyon) et deux journalistes (Mathieu Périsse à Lyon, Armelle Parion à Toulouse). Une autre l’est par des journalistes indépendants payés à l’enquête – dans le jargon, on les appelle « les pigistes ». En presse écrite, pour ces collaborations, la rémunération au feuillet (l’équivalent de 1 500 signes, espaces compris) s’est imposée comme un usage très répandu.

Chaque journal fixe ses tarifs. D’un titre à l’autre, ils peuvent varier du simple au quintuple. Les syndicats, des journalistes indépendants ou encore l’association Profession : pigiste dénoncent régulièrement la tendance des éditeurs de presse à pratiquer des prix ridiculement bas, à 30 ou 40 euros le feuillet. Lire à ce sujet la tribune publiée l’an dernier par le collectif Ras la plume.

Ce n’est pas la longueur de l’article mais la force du travail journalistique qui compte

A Mediacités, nous avons dès le départ opté pour un autre système de rémunération fondé sur la conviction que ce n’est pas la longueur de l’article mais la force du travail journalistique qui compte. Rien de plus logique : notre journal s’est donné pour mission de publier des enquêtes inédites et fouillées. Elles nécessitent des jours, parfois des semaines, de recherches, de documentation, d’entretiens, de reportage, de vérification. Ce journalisme qui aide nos lecteurs à mieux comprendre le fonctionnement de leur environnement immédiat et qui dévoile les coulisses des pouvoirs locaux exige du temps. Donc de l’argent. Il se doit d’être plus rémunérateur que le suivi, sans enquête, de l’actualité ou la rédaction de comptes‐rendus de conférences de presse.

Résultat, nos piges sont moins indexées à la quantité de mots écrits qu’à l’ampleur de l’enquête. Nous avons établi une grille tarifaire avec des forfaits : 250, 500, 750 et 1 000 euros bruts (13e mois et congés payés inclus), payés en salaire comme le prévoit la loi Cressard. Le premier correspond à une enquête relativement courte comme, par exemple, ce décryptage sur les chiffres des logements Crous disponibles à Lyon, suite à la tentative d’immolation d’un étudiant début novembre 2019, écrit par Amandine Miallier et Mathilde Amen. Le second à une enquête fouillée comme celle sur les conditions de travail des ouvriers de la logistique, signée Alexis Dumont et publiée en décembre dernier, ou comme les révélations de Romain Gaspar sur les liens qu’entretient l’adjoint à l’urbanisme de Cugnaux, près de Toulouse, avec un promoteur immobilier chouchouté par la municipalité. Les deux derniers forfaits sont enfin réservés à un travail au plus long cours qui donne généralement lieu à la publication de plusieurs articles. 

Pas regardant à la ligne près

Comme les habitudes ont la vie dure, nombre de journalistes nous ont très vite réclamé des indications de taille. Pour un forfait à 250 euros, on attend en général 2,5 ou trois feuillets minimum, entre cinq et six feuillets pour un forfait à 500 euros, etc. Contrairement à la presse papier contrainte par la place (sauf à augmenter la pagination), la presse numérique offre le luxe de ne pas être regardant à la ligne près. Si un journaliste a besoin d’un ou deux paragraphes supplémentaires, c’est possible. Mais s’il a tout écrit en deux feuillets, c’est possible aussi. Cela ne changera rien au montant de sa pige.

Ces longueurs restent des indications, pas un carcan. Exemple avec le poignant article‐témoignage de Sheerazad Chekaik sur Sana, sans domicile au parcours emblématique des personnes qui vivent à la rue à Lille. L’article, qui repose en majeure partie sur le recueil d’un récit, compte huit feuillets et a été rémunéré 500 euros. Les entretiens, comme celui mené par Daphné Gastaldi avec le géographe Guillaume Faburel, sont rémunérés 250 euros. Ils sont souvent plus longs que des enquêtes au même tarif, mais demandent moins de temps qu’un article pour lequel le journaliste aura réalisé cinq ou six interviews. 

Le coût d’un article ne se résume pas au montant d’une pige

La difficulté pour un rédacteur en chef réside dans la capacité à évaluer l’ampleur de l’enquête – et donc le montant de la rémunération – au moment de la commande de l’article. Mais là aussi, les choses ne sont pas figées. Régulièrement, des journalistes nous préviennent : « Je passe beaucoup plus de temps que prévu sur cette enquête ». Alors on ajuste, au mieux. On décide parfois de faire l’impasse sur tel aspect du sujet pour lui consacrer ultérieurement un article (et une pige) à part entière.

Exemple avec l’article d’Isabelle Jarjaille sur la gestion des aéroports d’Auvergne-Rhône-Alpes par le groupe Vinci. Cette spécialiste des délégations de services publics avait repéré la politique agressive de l’exploitant à l’égard des aéroclubs. Mais cela nécessitait de contacter de nouveaux interlocuteurs, de développer les premières informations récoltées. Ce fut fait dans le cadre d’un « complément d’enquête » quelques semaines plus tard.

L’inverse arrive aussi : au terme d’une pré‐enquête (période de défrichage, avant que le journaliste et son rédacteur en chef fassent affaire), on considère par exemple que le sujet ne mérite pas de débloquer une pige de 500 euros mais qu’il peut être traité dans un format plus court et rapide à réaliser.

Le coût d’un article ne se résume pas au montant d’une pige. Un forfait de 500 euros brut pour un journaliste revient environ à 600 euros pour Mediacités une fois les cotisations patronales calculées. A cela, il faut ajouter une vingtaine d’euros pour chaque bulletin de salaire édité (pour cette tâche, nous faisons appel à un prestataire).

En d’autres termes, le « coût de revient » de la grande majorité de nos enquêtes – soit un jour de production éditoriale pour notre journal – nécessite de vendre quotidiennement une dizaine d’abonnements annuels à 60 euros. Quand vous décidez de devenir abonné de Mediacités (si ce n’est pas encore le cas, cela se passe ici 😉 ! ), vous nous permettez de couvrir 10% du coût d’une enquête comme celle sur les nuisances aéroportuaires à Nantes et Toulouse ou celle sur l’usage du plastique dans les cantines scolaires de Lyon.

Relire, illustrer, promouvoir

Ceci dit, ce rapport est biaisé. Car une fois écrite, une enquête passe entre les mains d’un des quatre rédacteurs en chef de Mediacités. Charge à lui de retravailler le texte si besoin, de pointer les manques, de vérifier les informations, d’échanger avec l’auteur, de réfléchir à la titraille (titre et « chapô », le court texte introductif) avant d’éditer et de mettre en page l’article dans le « back‐office » (l’arrière-boutique) du site. Difficile de quantifier précisément ce travail tant il varie d’un sujet à l’autre.

N’oublions pas les photos. La maquette de notre site accorde une large place aux visuels. Pour illustrer nos articles, plusieurs options.

1/ Nous produisons nous‐mêmes les photos, solution la plus économique.

2/ Nous les achetons à des agences (nous travaillons principalement avec Sipa et Andia) ou directement au photographe. Coût d’un cliché : entre 30 et 40 euros.

3/ Nous passons commande auprès d’un journaliste photographe pour la production de nouvelles photos et, même logique que pour les rédacteurs, tout dépend de l’ampleur du travail à réaliser et du temps passé.

Ponctuellement, nous publions aussi des enquêtes photographiques, comme celle d’Antoine Merlet sur les petites mains de l’industrie de la trottinette, rémunérée 500 euros. 

Reste enfin une série de tâches assurées en interne – publication, mise en valeur des articles sur les réseaux sociaux, envoi d’alertes et de mails auprès de nos abonnés. Elles représentent du temps et donc un coût. Là aussi, difficile d’avancer une somme précise moyenne. Quoi qu’il en soit, les deux tiers des dépenses de Mediacités sont consacrés au travail journalistique (le reste concerne les salaires technique et marketing, les frais liés au site, à nos locaux, à notre avocat, etc. – voir ici le détail). En 2019, nous avons en moyenne dépensé – sans compter les cotisations patronales – 19 000 euros par mois pour la réalisation de nos enquêtes.

  • Excellente information précise qui justifie mes ( petits ! ) dons. Je suis étonné du faible paiement des articles, comment peut‐on vivre de cette façon , bien que je puisse le comprendre en ce « début » d’activité ? Mes prestations de consultant senior alors que retraité mais en SARL : 1000 à 1500 € HT hors frais de déplacement / jour . En outre il y a je pense une erreur, pour 500 € de paiement, seulement 100 € de charges patronales ? ce devrait être plutôt de l’ordre 350 €.. Enfin, « éponger » 228.000 €/an hors cotisations patronales nécessite + de 4000 adhérents ? non ? et je ne me souviens plus du nombre.
    Quoiqu’il en soit, BRAVO, bon courage pour l’avenir et FELICITATIONS.…

    • Bonjour Etienne,
      Merci pour votre commentaire, votre lecture de Mediacités et vos « petits dons » !
      Effectivement, les tarifs de la pige sont loin – très loin – de ceux pratiqués par la plupart des consultants. Ceux que nous proposons à nos collaborateurs, à Mediacités, sont plutôt dans la moyenne haute (bien qu’il soit difficile de parler de « moyenne » vu la diversité de la presse et des tarifs de pige), qui plus est pour de la presse en ligne. Comme expliqué dans et article, nous rémunérons au forfait, mais rapporté au feuillet (1500 signes, espaces compris), on tourne autour de 100 euros brut environ. Je vous invite à aller consulter le site « Paye ta pige » (https://payetapige.com/), alimenté par des journalistes pigistes, qui compile les tarifs de nombreux titres de la presse française. On y apprend par exemple que Libération rémunère environ 70 euros brut le feuillet , tout comme Marianne ou Mediapart (hors scoop), quand Le Canard enchaîné rémunère la même longueur 250 euros ou les Inrocks entre 50 et 55 euros…
      Merci encore pour vos encouragements et votre soutien !
      Cordialement,
      NB

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