Les enquêtes de Mediacités renforcent‐elles les clivages dans la société ?

Manifestants dans la rue à Lyon, en novembre 2020. Sur une pancarte, on lit : "Pas d'accord".
Des manifestants à Lyon contre les violences policières, en novembre 2020 / Photo : Ev Henke (Unsplash)

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Par Pierre Leibovici

Élections, pesticides, migrants… Chaque semaine, Mediacités publie des enquêtes sur des sujets qui divisent. Au risque de durcir les positions opposées dans la société ? Récit d’une introspection qui a mobilisé 35 de nos journalistes à travers la France.

Plus vous vous informez, moins vous comprenez l’opinion opposée à la vôtre. C’est le résultat d’une grande enquête sur la perception des débats de société aux États‐Unis, menée en 2019 par l’association Destin Commun (More in Common). Changement climatique, immigration, armes à feu… Sur ces sujets qui ont fait les gros titres ces dernières années, les médias américains n’auraient pas contribué à forger une opinion publique éclairée. Pire, ils auraient renforcé les positions contradictoires.

Qu’en est‐il chez nous ? En ce début mai, c’est la question posée par Nina Fasciaux, représentante pour l’Europe du Solutions Journalism Network, une association qui encourage les médias à traiter les problèmes de société de manière constructive. Autour d’elle, 35 journalistes travaillant pour Mediacités : des membres de la rédaction permanente et des pigistes, avec qui nous collaborons occasionnellement. Nous voilà réuni·es, le temps d’une après‐midi, pour une introspection de groupe sur la manière dont Mediacités enquête sur les sujets qui divisent dans nos grandes villes.

Pour ou contre

Car ces articles qui polarisent les opinions, nous en publions chaque semaine sur notre site. Prenez la première quinzaine de mai 2021. Les 32 publications de Mediacités sur cette période évoquent tout autant les subventions attribuées aux chasseurs par le département de Haute‐Garonne ou la région Hauts‐de‐France, que la qualité « médiocre » de l’eau du robinet dans les communes de Loire‐Atlantique où l’on épand le plus de pesticides, ou encore le lobby américain dirigé par Najat Vallaud‐Belkacem, tête de liste PS aux régionales en Auvergne‐Rhône‐Alpes.

Le seul exemple des chasseurs symbolise ces sujets sur lesquels deux visions antagonistes, a priori irréconciliables, s’affrontent. La chasse est‐elle une activité d’autrefois, dangereuse pour les promeneurs, source de souffrance animale et déconnectée de nos besoins alimentaires ? Ou doit‐on au contraire la préserver au nom du respect des traditions et du besoin de régulation des espèces, voire l’encourager avec de l’argent public ?

« Les médias pourraient proposer une autre lecture des débats qui enflamment la société »

Les journalistes de Mediacités n’ont pas vocation à prendre position sur ces questions. Cependant, le simple fait d’enquêter localement sur ces débats de société peut amener deux mondes à s’opposer davantage. À la lecture de nos articles, les pro‐chasse seraient tentés de retenir les arguments qui confortent leurs présupposés. Et inversement pour les anti‐chasse.

Cette manière de réfléchir — appelée « biais de confirmation » en psychologie —, les médias pourraient s’y attaquer en proposant une autre lecture des débats qui enflamment la société. Pour Mediacités, il est d’autant plus intéressant d’y réfléchir que nous nous sommes fixés pour mission, dans notre manifeste fondateur, « [d’]endiguer la défiance généralisée qui mine notre démocratie ». Mais par où commencer ?

Capture d'écran de la réunion en ligne des journalistes de Mediacités consacrée à la couverture des sujets clivants.
Les journalistes permanents et pigistes de Mediacités, réuni·es en visioconférence, vendredi 7 mai / Capture d’écran

Écouter différemment

Une piste évoquée lors de notre après‐midi de réflexion se situe à l’étape de l’interview. Lors de ce moment crucial de la production d’un article, le risque est en effet de trop simplifier le propos de nos interlocuteur·ices, et de donner ainsi une représentation exagérée de leur point de vue.

Manque de temps, technicité du sujet, préjugés de nos journalistes… De nombreux éléments peuvent conduire à une écoute partielle. « Si j’ai choisi d’écrire pour Mediacités, c’est parce que je peux prendre le temps », tempère Caroline Carissoni, journaliste indépendante qui travaille pour notre édition à Toulouse. Il est vrai qu’à l’inverse de nombreux médias locaux, plusieurs semaines passent souvent entre la commande d’un article et sa publication sur notre site. Reste que nous ne sommes pas toujours maîtres du temps alloué lors d’une interview, particulièrement si nous interrogeons quelqu’un dont l’agenda est chargé.

Lorsqu’on restitue les propos d’une personne interviewée, nous pouvons également être tentés de mettre de côté les informations les plus complexes. Quitte à privilégier les « phrases choc », compréhensibles en peu de mots par le grand public, nécessairement moins nuancées. Pour éviter cet écueil, la journaliste Isabelle Jarjaille partage ce conseil : « Je ne laisse jamais comprendre à mon interlocuteur que je sais de quoi il me parle. J’assume ma naïveté ». Celle qui a publié une cinquantaine d’articles sur Mediacités reconnaît que la méthode peut parfois dérouter ses interviewé·es. Mais elle permet de ne manquer aucun aspect du sujet, même les plus compliqués.

« J’écoute comme une psy »

Un autre problème qui se pose souvent durant nos entretiens tient à une (mauvaise) habitude professionnelle : nous réfléchissons à la prochaine question à poser, avant même d’avoir écouté la totalité de la réponse précédente. Là encore, le risque est de négliger une partie du propos, donc d’effacer les nuances. Isabelle Jarjaille suggère une autre technique, qu’elle transmet également à ses étudiant·es en journalisme : « J’écoute comme une psy : je laisse parler, je pose peu de questions ».

La psychologie, nous y revoilà. Une discipline dans laquelle les journalistes devraient puiser pour leurs interviews, selon Nina Fasciaux, du Solutions Journalism Network. « Pour comprendre ce que pense vraiment votre interlocuteur, rien de mieux que de reformuler ses propos avec vos propres mots, conseille‐t‐elle. Vous pouvez alors observer ses réactions et éventuellement rectifier votre compréhension de sa position. »

La technique s’adapte-t-elle à tous types d’entretiens ? Sans doute pas. « Face à certains élus, je dois être rentre‐dedans pour les faire sortir de leurs éléments de langage », assène Alexandre Lenoir, journaliste indépendant à Lille. « Pour faire parler les politiques, il est parfois intéressant de leur opposer un contre‐argument, plutôt que de reformuler leurs propos », complète Antony Torzec, qu’on lit souvent du côté de Mediacités Nantes.

Pas de réponse simple, donc, quand on s’interroge sur le rôle de Mediacités dans le débat public local. Mais cet après‐midi d’échange avec 35 de nos journalistes donne envie de poursuivre la discussion avec vous. Avec une ambition partagée à la fin de la journée : faire en sorte que plus vous vous informerez sur Mediacités, mieux vous comprendrez l’opinion opposée à la vôtre.

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