Contre la « médiocrité de l’information », luttons contre la concentration des médias !

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Vincent Bolloré à la Global Conference, en 2013. Photo : Copyleft

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Par Jacques Trentesaux

Les sénateurs ont lancé une vaste commission d’enquête sur l’impact de la concentration des médias français sur la démocratie et le pluralisme des idées. Un exercice salutaire alors que la France connaît une situation préoccupante.

Quel étrange défilé ! Depuis le 30 novembre, les sénateurs convoquent chaque jour ou presque les plus grands experts et acteurs du monde médiatique dans le cadre d’une commission d’enquête qui devrait s’achever fin mars sur une série de préconisations. L’objectif ? Mesurer si la concentration inégalée des médias en France – 9 milliardaires contrôlent 90 % du secteur – constitue une menace pour la démocratie et le pluralisme des opinions. 

La question est d’importance. Or c’est peu dire que les auditions des Vincent Bolloré, Bernard Arnault ou autres Patrick Drahi… laissent un goût amer. A les écouter, ils ne sont au courant de rien et n’exercent aucune influence. Ils assurent prendre grand soin de ne pas interférer dans la gestion de leurs cadres dirigeants et plaident pour qu’on les laisse grossir sans entraves afin de permettre la constitution de champions tricolores susceptibles de rivaliser un tant soit peu avec les fameux Gafam, c’est-à-dire les Google‐Amazon‐Facebook‐Apple‐Microsoft, qui sont leurs vrais rivaux. 

Une offre médiatique conformiste, redondante, mal hiérarchisée…

La concentration serait‐elle une menace pour la démocratie ? La question paraît presque saugrenue pour la plupart de ces patrons qui ne semblent pas bien comprendre pourquoi ils ont été convoqués par les sénateurs. Le contraste est saisissant avec les auditions des experts ou acteurs de la presse indépendante qui, eux, s’inquiètent tous de la situation si atypique de la France. Parmi eux, le journaliste François Bonnet, cofondateur de Mediapart et président du Fonds pour la presse libre fut sans doute l’un des plus incisifs.        

« Ce qui me frappe, tonne‐t‐il d’emblée, c’est la médiocrité de l’information dans notre pays. L’offre n’a jamais été aussi faible. Elle est conformiste, redondante, trop institutionnelle, mal hiérarchisée, pas assez à l’écoute de notre société… » Pour François Bonnet, c’est la presse indépendante qui fait figure de laboratoire et d’aiguillon et c’est elle qu’il faut urgemment aider pour défendre le pluralisme et un débat public digne de ce nom.

La charge est lourde mais argumentée. Elle vise directement ces propriétaires milliardaires « qui ne connaissent pas la presse, qui ne prennent pas de risque et qui n’innovent pas ». Normal ! Ils sont arrivés dans le secteur à la recherche d’une influence ou d’une protection sans avoir le développement de leurs médias chevillés au corps, cette activité n’étant que très marginale dans leur business. Plus que la taille des groupes médiatiques, c’est donc plutôt leur structure qu’il conviendrait de réguler pour éviter l’appauvrissement du récit médiatique mais aussi les biais idéologiques… ou les conflits d’intérêts potentiels.

Comment imaginer, par exemple, que le quotidien économique Les Échos enquête en toute impartialité sur le géant du luxe LVMH puisqu’il est contrôlé par Bernard Arnault qui est aussi son propriétaire ? Comment penser que les confrères et consœurs du Figaro peuvent enquêter paisiblement sur les tractations secrètes qui conduisent leur propriétaire, le groupe Dassault, à vendre des avions de guerre Rafale pour des dizaines de milliards à l’Indonésie, aux Émirats Arabes Unis ou à l’Égypte ?

Créer un délit de trafic d’influence ou de censure de presse

Comment faire ? Les réponses sont simples : mettre de la transparence à tous les étages (la composition de l’actionnariat, les comptes, les pactes d’actionnaires…) et dresser une muraille de Chine entre les enjeux économiques et éditoriaux grâce à de nouveaux droits pour les rédactions (droit de veto sur la nomination des directeurs de la rédaction, création d’un statut juridique pour pouvoir ester en justice, présence obligatoire dans les conseils d’administration…). La profession va désormais plus loin en réclamant la création d’un délit de trafic d’influence en matière d’information ou de censure afin d’être en mesure de combattre en justice toute velléité d’un propriétaire d’influer sur le contenu de ses journaux. 

De telles mesures aideront peut‐être à reconquérir un peu de la confiance perdue du public dans ses médias ; elles entérineraient que les entreprises de presse ne sont pas tout à fait des entreprises comme les autres car garantes d’un débat public de qualité. Et comme les patrons milliardaires ont juré devant la représentation nationale qu’ils n’intervenaient en rien dans la marche de leurs médias, on comprendrait mal qu’ils s’opposent à des avancées aussi saines pour notre démocratie. Alors qu’en feront les sénateurs ? Et le futur président de la République ?

9 milliardaires contrôlent 90 % de la presse, vraiment ?

La formule a le sens de la simplicité. Elle est facilement mémorisable et donne le vertige. Mais d’où sort‐elle ? Et quels sont les critères retenus pour arriver à un tel constat ? Au sein de la rédaction de Mediacités, la reprise sans vérification de ces chiffres – utilisés en accroche pour la sortie du documentaire Mediacrash – a suscité doutes et débat. A raison. La facilité nous conduit trop souvent, nous journalistes, à prendre pour acquis des écrits d’autrui sans les vérifier – et je plaide coupable dans le cas présent.

Nous avons donc tenté de remonter la source de ces données. Il semble qu’elle remonte à… 2017 et un article du site Basta signé Agnès Rousseaux. C’est en tout cas ce qu’elle m’a assuré de vive voix. Problème : l’article ne dit pas tout à fait la même chose. Notre consoeur prend soin d’expliquer sa méthodologie dans son enquête. Elle part de l’audience des médias pour arriver à la conclusion que 90 % de l’audience cumulée des quotidiens nationaux français provient de titres possédés directement ou indirectement par 10 milliardaires. Agnès Rousseaux se fend aussi d’un calcul des parts d’audience cumulées des télévisions et radios détenues par ces mêmes 10 milliardaires et aboutit à respectivement 55 et 40 %.

Il faut saluer la rigueur d’Agnès Rousseaux dans cette enquête fouillée… et regretter l’approximation qui s’en est suivi dans les reprises. Car d’un travail rigoureux de calculs d’audience par familles de médias, on est arrivé à une généralisation abusive et trompeuse. Non, 90 % des médias ne sont pas contrôlés par 9 milliardaires. Ceci est factuellement faux… ce qui ne doit nullement nous empêcher de nous inquiéter contre l’excessive concentration des médias français entre un petit cercle de propriétaires.

  • Un peu juste et bien convenue la liste des milliardaires saisis par la magie du verbe. Vous oubliez ceux à labels regionaux qui s’achètent une région entière avec tous ses petits soldats de plomb politiques.

  • La concentration des médias est certainement un vrai sujet et c’est heureux qu’une commission d’enquête du Sénat se penche sur la question. Il faudra jugé sur pièces les conclusions et les recommandations des parlementaires. Pour Médiacités qui désormais partage des « biais idéologiques » avec Médiapart l’affaire parait entendu : tout le mal vient de ces 9 milliardaires qui seraient la seule cause du désamour des Français à l’égard de leur presse, désamour bien réel comme le montre toutes les enquêtes menées à ce sujet. Il faut règlementer, contraindre, taxer, ces oligarques d’où vient tout le mal. Mais du côté des journalistes n’y a‑t‐il rien à faire ? Sont‐ils systématiquement au‐dessus de tout soupçon pour leur donner des pouvoirs accrus dans les organes de décisions et des garanties supplémentaires ? Ne sont‐ils pas comme chacun le fruit de son milieu, de sa culture, de ses engagements et de ses à priori ? Ne doivent‐ils pas être soumis à des contre‐pouvoirs, à des obligations déontologiques qui paraissent souvent perdues de vue ? Certes Médiacités est plutôt dans les meilleurs mais le glissement éditorial m’inquiète.

    • Bonjour Jean‐Claude, Merci pour votre commentaire. Vous craignez un glissement éditorial de Mediacités en raison de cette prise de position anti‐concentration. Je ne peux que vous assurer que tel n’est pas le cas. Pour le vérifier, il faut partir du résultat, c’est à dire de nos enquêtes. Elles seules attestent de l’absence ou non de biais idéologiques de Mediacités. En revanche, nous pensons légitime cette prise de position (NB : il s’agit d’un éditorial de notre blog La fabrique), particulièrement en cette période de campagne électorale. Il s’agit de peser pour proposer de nouvelles règles de fonctionnement internes aux groupes de presse qui soient susceptibles de garantir l’indépendance des rédactions. Le milliardaire n’est pas mauvais en soi. C’est la gestion parfois biaisée des entreprises de presse qui pose un problème démocratique. Ces dernières ont une mission d’intérêt général et ne peuvent subir les désidératas et oukases de leurs seuls propriétaires. Bien à vous Jacques Trentesaux, directeur de la rédaction de Mediacités

  • Trés bien ce papier Jacques.
    Et trés utile à l’aube du grand débat des présidentielles.
    Pour les comptes de ces groupes, l’extension du secret professionnel et du secret commercial qu’a élargit Macron pose toutefois des problèmes même si la protection des sources nous en évite.
    Faut former plus de nos consoeurs et nos confrères à l’économie et à la finance aussi…

  • Mais pourquoi le visage de Monsieur Bolloré ??? Je trouve la chaine CNEWS très objective.… On discute des sujets importants… et sans langue de bois.…
    Les autres chaînes sont à la botte de Monsieur Macron
    Quant aux chaînes publiques, elles sont toutes de gauche (la bien pensance)…

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