Information : des états généraux pour tout changer, chiche !?

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Par Jacques Trentesaux

Plus de 100 médias indépendants et collectifs de presse, dont Mediacités, se sont saisis de l’organisation des états généraux de l’information, lancés début octobre par l’Elysée, pour exiger des mesures fortes afin de garantir l’indépendance des rédactions et la liberté de la presse.

La soirée s’annonce belle. En quelques jours, l’Espace Reuilly de Paris, qui comprend 740 places, a affiché complet. Le 30 novembre 2023, tout ce que la presse indépendante compte de médias et de collectifs se retrouvera à l’occasion d’états généraux de la presse indépendante pour partager ce à quoi nous croyons : la nécessité de défendre l’indépendance, le pluralisme et la liberté de la presse, qui constituent le socle de notre démocratie (le programme intégral est accessible ici).          

Le but de cette rencontre ? Peser sur les états généraux de l’information officiels. Voulus de longue date par Emmanuel Macron, ils ont été lancés début octobre dans une étonnante discrétion (malgré un budget de 3 millions d’euros) et s’achèveront en juin 2024. 

L’enjeu est d’importance. Car l’actualité des derniers mois regorge d’atteintes à la liberté d’informer. Qu’il s’agisse de la garde à vue de trente‐neuf heures de notre consœur de Disclose, Ariane Lavrilleux, dont l’appartement, l’ordinateur et le téléphone ont été fouillés suite à ses révélations sur des ventes d’armes de la France à l’Egypte ; de nos confrères du Poulpe ou de Reflets, attaqués en justice via les tribunaux de commerce au nom du secret des affaires ou pour « concurrence déloyale par dénigrement » ; ou encore de… Mediacités qui cumule des procès pour diffamation dont certains s’assimilent clairement à des procédures‐bâillons engagées dans le seul but de nous asphyxier financièrement.

Un « grand soir » pour la presse ?

Ce 30 novembre, nous énumèrerons toute une série de mesures qui, si elles n’étaient pas adoptées, signeraient l’inanité de la démarche présidentielle. Entre le renforcement de la transparence des entreprises de presse (sur l’actionnariat, les comptes, les sources de financement…), les nouvelles règles anti‐concentration au niveau national mais aussi régional, les droits nouveaux accordés aux « équipes rédactionnelles », les garanties nouvelles sur le secret des sources, la refonte intégrale des aides à la presse ou la lutte contre la précarisation du métier de journaliste, c’est à un « grand soir » de la presse que nos organisations appellent.

La situation actuelle est en effet inacceptable. Comment se résigner à ce que le secteur soit en grande partie contrôlé par des groupes industriels dont l’activité essentielle n’a rien à voir avec le souci d’informer ? Comment ne pas s’interroger sur les raisons profondes qui font que 70 % des Français disent ne pas avoir confiance dans les journalistes ? Comment ne pas réagir face à l’impact destructeur des plateformes et des réseaux sociaux qui perturbent en profondeur l’économie des médias et charrient un flot de contenus nauséabonds ?

Un système à bout de souffle

Quelques indicateurs montrent ô combien les producteurs d’informations, eux aussi, sont en souffrance. Le nombre de journalistes détenteurs de la carte d’identité des journalistes professionnels a baissé de près de 10 % en dix ans ; 40 % des jeunes journalistes ont quitté le métier au bout de sept ans en raison d’une précarisation extrême et/ou d’une perte de sens ; quant à l’ancienneté professionnelle moyenne, elle se limite désormais à quinze ans. Soit moins de la moitié d’une carrière complète normale.

Le système de la presse est à bout de souffle. La réglementation est obsolète et injuste. Les règles anti‐concentration, par exemple, remonte à… 1986. L’époque du Minitel ! La presse papier accapare encore près de 90 % des subventions publiques à l’heure d’Internet. Le richissime groupe LVMH, propriétaire notamment du quotidien économique Les Echos et du Parisien, est le premier bénéficiaire des aides publiques. Pourquoi ne pas conditionner tout appui financier de l’Etat au respect de critères d’indépendance, de transparence et d’éthique ?

La responsabilité vis à vis du public prime

Dans son préambule, la Charte de Munich (1971) précise que « la responsabilité des journalistes vis‐à‐vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics ». Ce texte cardinal de notre profession n’impose-t-il pas d’instaurer des règles spécifiques au secteur de la presse ? Est‐il normal qu’un propriétaire de média, par le seul fait qu’il en soit le propriétaire, puisse en faire ce que bon lui semble ? Et imposer ses opinions personnelles sans tenir compte du fait qu’une information relève de l’intérêt général ?

En 2008, le président Nicolas Sarkozy avait lancé les états généraux de la presse écrite. L’initiative avait été décevante car peu de mesures concrètes avaient alors abouti. Quinze ans plus tard, nous n’avons plus le droit de rater le rendez‐vous. Il en va de la qualité du débat public et de la force de notre démocratie. « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés ils deviennent des sujets », disait l’économiste et démographe Alfred Sauvy. La sentence est d’une brûlante actualité.

Pour aller plus loin

A l’occasion des Etats Généraux de la presse indépendante, la radio associative Micro‐rebelles vient de consacrer une émission de 28 minutes à Mediacités. Elle retrace la genèse de notre journal, revient sur ses exigences d’indépendance et son modèle économique, avant d’aborder l’état de la presse en France et la précarisation croissante du métier de journaliste. 

> Ecouter le podcast

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