« Pourquoi les jeunes fuient‐ils quand ils voient la police ? » Cette question était sur toutes les lèvres lors de la marche blanche organisée le samedi 13 janvier en mémoire de Selom, 20 ans, et Matisse, 17 ans, fauchés par un train le 15 décembre dernier dans le quartier de Fives à Lille.
Ce jour‐là, Selom, Matisse, Ashraf et Aurélien traînent dans la cité Saint‐Maurice, derrière laquelle passe une voie ferrée. Selon la version des faits donnée par Aurélien sur France 3, les amis sont là, « tranquillement à fumer un petit joint ». Six policiers de la Brigade spécialisée de terrain (BST) seraient alors arrivés « matraques à la main » et auraient foncé sur eux. Les amis prennent alors peur, s’enfuient et escaladent un mur derrière la cité. Là, un TER passe et happe les quatre jeunes.
L’affaire met immédiatement ce quartier populaire lillois en ébullition. D’autant que, dans un premier temps, le procureur de la République affirme qu’aucune patrouille de police n’était présente au moment du drame. Le samedi 16 décembre quelques violences éclatent et six voitures sont brûlées par une trentaine de jeunes.
Il faudra plus d’une semaine pour que le ministère public fasse marche arrière. Des policiers de la BST étaient bien présents. Mais, affirme le procureur, ils avaient été appelés pour une bagarre, terminée à leur arrivée et ils n’ont procédé à aucun contrôle ni poursuivi les jeunes. Pour beaucoup, l’affaire ressemble beaucoup à celle de Zyed et Bouna, morts dans un poste électrique à Clichy‐sous‐Bois, en Seine‐Saint‐Denis, alors qu’ils fuyaient la police. Les émeutes de 2005 sont dans toutes les têtes.
Lors de la marche blanche du 13 janvier, une banderole de tête de cortège le rappelle : « Hier Zyed et Bouna. Aujourd’hui Selom et Matisse. » Mais un mois après les faits, le quartier s’est apaisé. Aucune voiture n’a brûlé depuis le 18 décembre. Et, le jour de la marche, la présence policière est relativement discrète.
Le cortège, qui a défilé entre la place Pierre‐Degeyter et la cité Saint‐Maurice, s’est avancé dans le calme, les forces de l’ordre restant à distance des quelques centaines de personnes (entre trois cents et cinq cents) ayant répondu à l’appel des familles et du collectif CRIME Lille (Contre la répression des individus et des mouvements d’émancipation).
Quant à la question, « Pourquoi ont‐ils fui ? », les habitants n’ont pas la même réponse. Pour certains, ce drame n’est qu’un accident, conséquence indirecte d’un ras‐le‐bol d’une partie de la population vis‐à‐vis de groupes de jeunes se livrant au trafic de drogue en pleine rue et terrorisant le quartier lors de rodéos. Pour d’autres, il est la conséquence d’une pression policière accrue depuis plusieurs mois, avec l’arrivée de « gros bras » envoyés pour nettoyer le quartier et accusés de violences.
Un débat qu’Assa Traoré, sœur d’Adama Traoré venue soutenir les familles, a abordé de manière frontale peu avant le départ du cortège. « J’ai entendu une dame tout à l’heure demander : “Mais pourquoi les jeunes ont‐ils couru ? S’ils n’avaient pas couru, peut‐être qu’ils ne seraient pas morts”, a‑t‐elle lancé au micro. Pourquoi ces jeunes courent ? Parce que nous avons une police et une gendarmerie indisciplinées. Quand ils viennent dans nos quartiers, quand ils sont en face de nos jeunes, ces derniers sont déshumanisés à leurs yeux. On ne les voit même plus comme des personnes. »
« Il y a des rues devenues hyper‐bobo et d’autres où ça deale à fond »
Ces tensions entre habitants ne datent pas de la mort de Selom et Matisse. Ancien quartier ouvrier ravagé par la désindustrialisation, où en 2010 le taux de chômage était d’environ 23 % et où 29,5 % de la population touchaient le RSA, Fives fait partie de ces zones en voie de « gentrification ». Depuis le début des années 2000, un nombre croissant d’habitants des classes moyennes fuyant la hausse des loyers dans le centre de Lille se sont installés au milieu de familles parfois au chômage depuis plusieurs générations.
« Les populations ne se mélangent pas trop ici », admet Florence, une enseignante de 43 ans arrivée il y a cinq ans avec ses trois enfants et son compagnon. « Il y a des rues devenues hyper‐bobo et d’autres où ça deale à fond », explique‐t‐elle. « Personnellement, je n’ai pas senti de tensions particulières. Je traverse souvent le quartier à vélo et je ne me sens jamais en insécurité. Mais j’ai des copains qui habitent la place Degeyter et qui nous disent que c’est de plus en plus tendu. »
« Il suffit voir la rue Pierre‐Legrand », confirme Franck, 50 ans, venu s’installer dans le quartier il y a six ans. Cette rue, artère commerçante principale du quartier, est l’un des principaux lieux qui cristallisent l’exaspération de certains habitants en raison du nombre de petits groupes de jeunes dealant à la vue de tous.
« Personnellement, je ne me suis jamais senti agressé, pr …