Les chiffres noirs de la fraude dans les transports lillois

Il a été impossible au cours des dernières années d’avoir accès à des données sur la fraude dans les bus, les tramway et le métro de la métropole européenne de Lille. Un rapport de la Chambre régionale des comptes vient de briser cette omerta. Tous les indicateurs sont mauvais… à une exception près.

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Les portiques anti-fraudes de la station Bois-Blanc du métro de Lille. Photo : Botourade / CC BY-SA 4.0

Le titre du document n’est pas très sexy : « Enquête régionale sur la gestion de la tarification des services de mobilité urbaine ». Mais ce rapport de la Chambre régionale des comptes des Hauts‐de‐France, publié le 24 juillet, n’en contient pas moins quelques pépites d’information.

Dit plus simplement, il cherche à voir si Ilévia, le réseau de transports de l’agglomération lilloise, est correctement géré. Comme on le sait, ce réseau est public, propriété de la Métropole européenne de Lille, mais son exploitation a été concédée à une société privée, le groupe Keolis, jusqu’au début 2025. Ce contrat fixe de nombreux objectifs en matière de gestion et lui associe des pénalités en cas de non réalisation. C’est notamment le cas en matière de lutte contre la fraude, très coûteuse pour la collectivité. Or il apparaît que Keolis a bien dû mal à endiguer ce fléau malgré les quelque 600 pénalités qui lui ont été infligées, révèle le rapport.

Une fraude deux fois plus élevée que promis

Comme le rappellent les auteurs, le concessionnaire s’était en effet engagé à faire passer le taux de fraude annuel de 12 % en 2018 à 5,8 % en 2022. Or celui‐ci a été deux fois plus élevé cette année là : 11,6 % ! Un chiffre inédit qu’llévia refusait encore l’année dernière de fournir à Mediacités.

L’objectif était ensuite de continuer à le faire baisser pour le stabiliser à 5 % mais il est permis de douter qu’un tel palier ait été atteint. Le taux de fraude est mesuré grâce à une enquête‐fraude annuelle qui rapporte le nombre de voyageurs en infraction à celui des personnes contrôlées. Les résultats pour l’année 2023 n’ont apparemment pas été communiqués à la CRC.

Evolution taux de fraude

Keolis ne reste pourtant pas inactive face à la fraude. En 2022, la société employait l’équivalent de près de 187 personnes à temps plein (c’est à dire plus en comptant les temps partiels) à des fins de prévention et de répression. Soit un coût salarial de 10,1 millions d’euros. C’est moins qu’en 2019, où elle finançait 227 équivalent temps plein pour ces actions. Cette baisse de 17,7 % en quatre ans ne s’explique pas entièrement par « la chute de fréquentation du réseau depuis la crise sanitaire (- 11,3 % de voyages de 2019 à 2022) », laisse entendre la CRC. Elle reconnaît toutefois que « les objectifs quantitatifs du concessionnaire en termes de contrôles préventif et répressif sont remplis ». 

Un effet portillons réel mais limité

La fraude est par ailleurs très variable selon le mode de transport, soulignent les magistrats. « Elle a nettement diminué dans le métro de 2018 à 2020 grâce à la généralisation du contrôle d’accès en station avec l’installation de portiques anti‐fraude », observent‐ils. Achevé en 2021, le déploiement de ces 652 portillons, ardemment soutenu en son temps par Gérald Darmanin, a représenté un coût de 61 millions d’euros. Un investissement qui aura permis de faire baisser le taux de fraude de 12,5 % à 9,5 % entre 2018 et 2022. Reste que si cette amélioration est sensible, elle semble plafonner. Et elle est toujours bien supérieure à l’objectif affiché de 5 %.

Le problème, ajoute la CRC, c’est que, dans le même temps, « [les taux de fraude] du tramway et des bus urbains se sont nettement dégradés par rapport à ce qu’ils étaient au début de la concession (+ 45 % pour le tramway de 2018 à 2022 et + 16 % pour les bus) ». Soit 12 % dans le tram et 15,6 % dans les bus.         

Fraude par transport

Alors, certes, Keolis a mis en place « des actions diverses pour limiter la fraude », reconnaissent les magistrats financiers, en listant « la présence d’équipes de contrôle en civil dans les flux de voyageurs », la mise à disposition de « portables de contrôle dotés d’une meilleure autonomie » ou ces « portes de service du métro » qui ont été « réparées »… Il n’en reste pas moins que « la fraude cumulée sur la période contrôlée reste élevée et représente 54 millions d’euros de recettes en moins », soulignent‐ils. Ce qui a valu au concessionnaire de payer 1,1 million d’euros de pénalités. Mais il s’agit là d’une maigre compensation pour la MEL.

Un coût de plus de 100 millions sur cinq ans

D’autant que ce ne sont pas les amendes qui permettent de combler un tel gouffre. Avec un taux de recouvrement – jugé « satisfaisant » par la CRC – de l’ordre de 26 % à 31 %, leur montant s’est élevé à 2,55 millions d’euros entre 2019 et 2022. C’est trois fois moins que ce qui était prévu au budget (8,33 millions) !

Recettes d’infractions
Au total, sur cinq ans, le coût de la fraude dans les transports lillois peut être estimée à plus de 100 millions d’euros si l’on ajoute aux 54 millions de manque à gagner une cinquantaine de millions de masse salariale pour les équipes chargées de lutter contre la fraude.

Un élément à prendre en compte dans le débat sur une extension de la gratuité des transports publics lillois ? Pas si sûr. Mise en place en 2022 au profit des moins de 18 ans, la gratuité représente en effet un coût « élevé pour la métropole qui n’envisage pas, à ce stade, de l’étendre à d’autres tranches d’âge », relève la CRC. La MEL n’en subventionne pas moins très fortement les transports. En 2022, le coût de la « production kilométrique » de transports publics (tous modes confondus) n’a été répercuté sur l’usager qu’à hauteur de 28 %, selon la Chambre régionale des comptes. Autrement dit, une quasi‐gratuité aux trois‐quart…

  • Bonjour. Merci pour cet article.
    J’ai deux questions :
    – qui assure les statistiques du taux de fraude ? Est‐ce Keolis ? Si c’est le cas c’est un problème car, par exemple, faire des contrôles devant le lycée Faidherbe à 8h00 du matin c’est être assuré d’un taux de fraude minimal. Est‐on assuré que la mesure tient compte de la fréquence réelle du réseau ?
    – quel est le coût annuel de la gratuité ? 

    Merci et bonnes vacances

    • Bonjour. Merci pour vos questions. Le rapport de la Chambre régionale des comptes indique que les statistiques de fraude sont établies « par la MEL » par le biais d’une enquête‐fraude annuelle. Celle de mars 2022 a ainsi interrogé 15 352 personnes dont 1783 en situation de fraude (11,61 %). Il serait effectivement étonnant que Keolis soit chargée de fournir cette statistiques puisqu’il s’agit d’un critère du contrat de concession susceptible de donner lieu à pénalité. Le document de la CRC ne donne pas plus de précisions sur les conditions techniques de cette enquête mais ne semble pas les remettre en cause. Concernant le coût de la gratuité, la CRC chiffre le coût de la mesure mise en place pour les moins de 18 ans à 28,7 millions d’euros sur la période 2022–2025, dont 8 millions en 2022 auxquels s’ajoute une hausse de la rémunération de Keolis de 1,5 million d’euros par an (pour tenir compte de a hausse du trafic induit). Concernant une évaluation du coût d’une gratuité totale, je ne peux que vous proposer un calcul de coin de table qui demanderait à être confirmé. La CRC indiquant que le coût de production kilométrique ne reposant qu’à 28 % sur l’usager, et ce coût étant égal à 306,433 millions d’euros en 2022, il faudrait que la collectivité prenne en charge 85,8 millions d’euros supplémentaires, chiffre qui correspond d’ailleurs à peu près aux recettes tarifaires reversées à la MEL par Keolis en 2022.

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Par Yves Adaken