Le sujet est préoccupant mais bien loin des radars médiatiques. Le 14 février dernier, le député du Rhône Hubert Julien‐Laferrière aborde en commission le sort des prisonniers politiques arméniens détenus par l’Azerbaïdjan. « Au mépris du droit international », souligne‐t‐il. « Et le Qatar ? » ; « En prison, les corrompus ! » : aussitôt, sur le réseau social X (ex‐Twitter), un lot de commentaires anonymes ramène le parlementaire à ses tourments.
Depuis les perquisitions de son bureau, à l’Assemblée nationale, et de son domicile, dans le 9e arrondissement de Lyon, le 27 septembre 2023, l’élu traîne derrière lui un parfum de scandale. « Hubert », comme l’appelle une bonne partie de la classe politique locale qu’il fréquente depuis un quart de siècle (on y reviendra), est soupçonné de corruption. Son nom est cité dans une affaire d’ingérence étrangère que le Parquet national financier (PNF) tente de tirer au clair. S’y mêlent des lobbyistes, un ex‐présentateur de BFM ou encore le Qatar [lire l’encadré à la fin de l’article].
Dernière étape en date de cette descente aux enfers, Radio France révèle, le 15 février, qu’Hubert Julien‐Laferrière aurait touché « 5 000 euros mensuels, ainsi que quelques primes de plusieurs centaines d’euros pendant près d’un an » pour défendre publiquement des positions favorables au Qatar. L’argent proviendrait d’une ambassade de la monarchie du Golfe et du Comité national des droits de l’Homme du Qatar. Comme Mediacités l’avait précédemment dévoilé, cette organisation liée au régime de Doha a payé au député un voyage de quatre jours dans l’état pétrolier en février 2022.
Pirouette et cryptomonnaie
Hubert Julien‐Laferrière pourra‐t‐il encore longtemps résister à la tempête ? Épinglé l’an dernier par Mediapart pour une obscure histoire de promotion d’une cryptomonnaie camerounaise – prémices de ses ennuis -, il s’en était tiré par une pirouette. « J’ai un peu déconné », avait‐il alors lâché pour justifier des échanges avec un sulfureux lobbyiste. Pour une fois, sa réputation de dilettante plaidait en sa faveur…
Depuis les perquisitions ordonnées par le PNF, le député, qui est présumé innocent et n’a pas été mis en examen à ce stade, se mure dans le silence. « Je réserve mes déclarations à la justice », répond‐il à ceux qui le sollicitent. Par texto, il s’est montré un chouïa plus bavard avec Mediacités. « Je ne souhaite pas répondre à la presse tant que je n’aurai pas été entendu [par la justice], regrettant d’ailleurs que cette instruction se déroule à ciel ouvert alors que je n’ai pas accès au dossier », nous écrit‐il.
« Voter en fonction de mes convictions »
Comment, dans ce contexte et alors qu’il n’est plus membre du groupe écologiste depuis les révélations de Radio France, peut‐il continuer sa mission à l’Assemblée nationale ? « En tant que non inscrit, je vais exercer mon mandat normalement, participant à ma commission permanente et m’exprimant et votant en fonction de mes convictions sur chacun des textes, poursuit‐il auprès de Mediacités. J’ai d’ailleurs connu cet exercice dans les dix‐huit derniers mois du précédent mandat. »
Une référence à sa rupture avec le macronisme, à partir de 2020. Mais comparaison ne vaut pas raison : à l’époque, Hubert Julien‐Laferrière avait quitté la majorité avec une petite clique d’anciens marcheurs, dont les députés Cédric Villani et Aurélien Taché. Le voici aujourd’hui seul. Pestiféré ? Son comparse Taché, réélu comme lui sous la bannière écologiste en 2022, n’a pas souhaité s’exprimer dans le cadre de cet article.
Par la porte Génération écologie
Macroniste en 2017, Nupes en 2022. Hubert Julien‐Laferrière, en rupture avec la majorité présidentielle à partir de 2020, a rejoint les rivages de l’écologie politique via Génération écologie, le parti de Delphine Batho. « Nous sommes dans la démarche d’amener un maximum de monde à prendre en compte l’urgence écologique. Nous n’allions pas nous opposer à son ralliement parce qu’il était passé par En Marche », expose Anaïs Widiez, secrétaire générale du mouvement. Celle qui siège au conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes qualifie le député de « sympathique », « mais il n’était pas spécialement investi dans le parti ».
« C’est sûr qu’en 2022, il aurait été difficile pour Hubert de conserver sa circonscription avec l’étiquette Macron, analyse l’ex-président du Grand Lyon David Kimelfeld, qui l’a connu au Parti socialiste. Mais il est sévère de dire qu’il a retourné sa veste. Après avoir été embarqué chez En Marche par Gérard Collomb, il est revenu à la source de ses convictions, à gauche. »
Le passage d’Hubert Julien‐Laferrière à Génération écologie sera de courte durée. À la différence du groupe parlementaire dominé par des élus EELV, son parti l’a exclu dès le lendemain des perquisitions de septembre 2023. « Il y a la présomption d’innocence, mais le Parquet national financier ne se déplace pas pour rien à l’Assemblée nationale », justifie Anaïs Widiez.
La stratégie de « l’étouffoir »
À Lyon non plus, les élus ne se précipitent pas pour évoquer le cas « Hubert ». Son nom suscite un malaise certain parmi les écologistes, que le député avait récemment ralliés. Sa suppléante Yasmine Bouagga, maire EELV du 1er arrondissement de Lyon, se contente d’un SMS laconique : « J’attends les suites de l’enquête pour que toute la transparence soit faite. » Mutisme complet du côté d’Anne Braibant (EELV), sa collègue du 9e arrondissement, englobé dans la circonscription d’Hubert Julien‐Laferrière : « La maire ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet. »
Marie‐Charlotte Garin, l’autre députée écologiste de Lyon, formule la même non‐réponse. Mi‐janvier, celle‐ci s’affichait pourtant aux côtés de son camarade désormais embarrassant pour dénoncer « l’indifférence » du gouvernement à l’égard des sans‐abris. Avec une poignée d’autres parlementaires (l’écologiste Sandrine Rousseau, l’insoumise Mathilde Panot), ils avaient passé une nuit sous la tente sur un trottoir de Paris.
Ni Bruno Bernard, président du Grand Lyon, ni Grégory Doucet, maire de Lyon, ne se sont exprimés publiquement sur les tracas d’un député qu’ils ont contribué à faire réélire. Contacté, le cabinet du second souligne que « le maire a pris ses distances dès les premières révélations journalistiques et ne fera pas d’autre commentaire ». « La manière de faire des écologistes, c’est de mettre un étouffoir, constate Yves Ben Itah, conseiller métropolitain EELV et élu dans le 1er arrondissement. Il y a pourtant un sujet, mais on n’en parle pas. »
« Qui pouvait nier qu’il fragiliserait la Nupes ? »
« C’est le silence et l’omerta, s’offusque Loic Terrenes, adversaire Renaissance d’Hubert Julien‐Laferrière aux dernières élections législatives. Quand on a fait campagne sur l’éthique et la transparence, je trouve cela extrêmement grave de ne pas venir s’expliquer devant les Lyonnais. » De fait, alors candidat en 2017, le député de la 2e circonscription du Rhône avait placé en tête de ses combats « la moralisation de la vie publique » [voir le document ci‐dessous].
2024–03-Tract 2017 Hubert Julien‐Laferriere« J’espère que les élus verts qui l’ont soutenu regardent aujourd’hui par terre », lance Raphaël Arnault, qui a lui aussi tenté de déloger Hubert Julien‐Laferrière de sa circonscription en 2022, mais par la gauche. « Ils ont leur part de responsabilité, estime le militant antifasciste. Car, quand on connaît le parcours de ce Monsieur, qui pouvait nier qu’il fragiliserait la Nupes et nous amènerait des problèmes ? Même si on ne les imaginait pas de cette nature‐là… »
« Type sympa », un brin dandy
Deux fois maire du 9e arrondissement (de 2003 à 2008, puis de 2014 à 2017), vice‐président du Grand Lyon chargé de la coopération décentralisée, perçu un temps comme le dauphin de Gérard Collomb – « à une époque où celui‐ci ne se posait pas la question de sa succession », précise David Kimelfeld, qui a aussi joué ce rôle -, Hubert Julien‐Laferrière navigue sur la scène politique lyonnaise depuis le début des années 2000. Et même avant : il a été élu dès 1995 dans le 9e arrondissement, fief collombiste. La légende raconte qu’en période électorale, il écumait les maisons de retraite avec l’ex-baron de Lyon, lui à la guitare, son mentor à la chansonnette. Mais dans le microcosme lyonnais, personne ne s’attendait à le voir accusé de corruption.
« Je suis totalement surpris par les informations qui le concernent et je le serais encore plus si elles étaient confirmées », reprend David Kimelfeld. « Je suis tombé des nues », renchérit Yves Ben Itah, qui le considère comme « un ami de trente ans ». « Pour moi, c’était un homme de droiture. Cette affaire ne colle pas avec son image, considère l’élu écologiste du 1er arrondissement. Hubert est aussi un homme secret, qui cloisonne beaucoup. A‑t‐il pu déraper ? » « La politique rend fou, philosophe Jean‐Michel Daclin, qui a travaillé avec Hubert Julien‐Laferrière quand ils siégeaient ensemble dans l’exécutif du Grand Lyon. Il semble avoir été pris dans un truc qui le dépasse… »
Avec son style de « type sympa », un brin dandy et ses paupières toujours mi‐closes, le parlementaire cultive une image de nonchalance à son insu. « Il en a été un peu victime », confirme Jean‐Michel Daclin. L’homme est aussi réputé fêtard mais ne serait pas attiré par l’argent, assurent ceux qui le connaissent.
Selon sa déclaration d’intérêts déposée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le député détient des parts dans les sociétés Hygie et Navya pour quelques milliers d’euros. Au début des années 2010, il a brièvement fondé un cabinet à son nom, « Laferrière Conseil et Formation », liquidé en 2013. Plus récemment, en avril 2023, cet amateur de randonnée en montagne a créé, avec un associé minoritaire, une société civile immobilière (SCI) baptisée « La Meige », comme le sommet des Écrins.
« Hubert » le globe‐trotter
Dans la tourmente, Hubert Julien‐Laferrière continue ses activités parlementaires comme si de rien n’était. Membre de la commission de la défense et des forces armées, le Lyonnais a placé son mandat sous le signe des affaires étrangères – pas seulement celles du Qatar. En mars 2022, il se rend en Ukraine, quelques semaines après le déclenchement de la guerre. En septembre dernier, à quelques jours de la perquisition de son bureau, il participe à un forum international en Colombie. En janvier, il est de nouveau en Amérique latine, cette fois‐ci en Équateur.
À l’Assemblée, il préside le groupe d’amitié avec cet État. Il siège par ailleurs dans plus d’une soixantaine de groupes d’amitié entre la France et d’autres pays, du Chili aux Seychelles, en passant par le Vietnam ou le Niger. Paradoxe, le Qatar ne figure pas dans la liste…
Ceci explique en partie cela : d’après le site de référence Nos Deputes, « Hubert » le globe‐trotter compte parmi les 150 députés les moins actifs sur 577, qu’il s’agisse du nombre d’interventions dans sa commission comme dans l’hémicycle. « Il se sert de ses mandats pour se promener partout sur la planète. Quand on a des convictions écologiques, cela pose question », raille Loic Terrenes.
Le député de la 2e circonscription du Rhône a pris goût aux voyages lors de précédentes fonctions. C’est au début des années 2010, en tant que vice‐président du Grand Lyon chargé de la coopération décentralisée, qu’Hubert Julien‐Laferrière « commence à beaucoup circuler », se souvient un ancien collaborateur d’élus. « Il a un peu disparu à ce moment‐là, s’est éloigné du terrain. Je l’ai vu changer », complète Yves Ben Itah.
À l’époque, Hubert Julien‐Laferrière développe notamment un partenariat avec la ville de Tinca, en Roumanie, à destination des Roms. « Il s’était passionné pour ce dossier. Comme c’était un peu le bébé de Gérard Collomb et qu’Hubert était lui‐même un “bébé Collomb”, le projet a bénéficié d’une réelle volonté politique », raconte Thomas Ott, travailleur humanitaire qui a œuvré à ce programme.
Hubert Julien‐Laferrière y trouve aussi celui qui deviendra son homme de l’ombre : Simon Virlogeux. Alors salarié de l’ONG impliquée à Tinca auprès du Grand Lyon, celui‐ci suit « Hubert » comme directeur de cabinet à la mairie du 9e arrondissement, puis comme collaborateur parlementaire après 2017. Toujours fidèle à son patron, malgré les soupçons de corruption, Simon Virlogeux a décliné notre demande d’entretien.
« Une démission de sa part serait une forme de respect de l’électorat »
Depuis deux à trois ans, Hubert Julien‐Laferrière s’est enfin mêlé des affaires du Moyen‐Orient. Comme nous vous l’avions raconté, le député est monté au créneau pour s’opposer, en vain, à la candidature d’un général des Émirats arabes unis à la présidence d’Interpol. Il s’est aussi mobilisé en faveur d’Ahmed Mansour, un militant des droits de l’Homme détenu par le régime d’Abou Dhabi.
Ces initiatives tout à fait défendables suscitent aujourd’hui des interrogations légitimes alors que Qatar et Émirats arabes unis passent pour être les frères ennemis du Golfe persique. Elles renforcent l’inconfort dans lequel se retrouve Hubert Julien‐Laferrière. « Une démission de sa part serait faire preuve de courage politique et une forme de respect de l’électorat », considère Raphaël Arnault. Pas sûr toutefois que le député de 58 ans envisage cette option. Comme le rappelle Jean‐Michel Daclin : « Pour Hubert, la politique, c’est sa vie. »
Chronologie d’un scandale
Février 2023 - Un numéro de ventriloque. Mediapart révèle qu’Hubert Julien‐Laferrière a fait la promotion, lors d’une commission à l’Assemblée nationale, du Limocoin, un cryptomonnaie créée par un homme d’affaires camerounais peu recommandable. Une prise de parole loin d’être fortuite : elle découle d’une rencontre entre le député écologiste et le lobbyiste Jean‐Pierre Duthion, soupçonné par ailleurs d’avoir manipulé le journaliste de BFM Rachid M’Barki en faveur de régimes étrangers. L’élu lyonnais admet « une connerie ». « J’aurais dû me méfier plus », s’excuse-t-il.
A l’Assemblée, numéro de ventriloque entre un lobbyiste et le député Hubert Julien‐Laferrière
27 septembre 2023 - Toc, toc, c’est le PNF. Les enquêteurs du Parquet national financier (PNF) perquisitionnent le domicile et le bureau d’Hubert Julien‐Laferrière. Ils agissent dans le cadre d’une enquête sur de possibles ingérences étrangères par l’intermédiaire du lobbyiste Jean‐Pierre Duthion. Dans la foulée, le député du Rhône se met en retrait du groupe parlementaire des écologistes et annonce se tenir « à la disposition de la justice ». Son parti Génération écologie l’exclut de ses rangs.
Soupçons d’ingérence étrangère : le député du Rhône Hubert Julien‐Laferrière perquisitionné
Octobre 2023 - Quatre jours à Doha. Alors que Le Monde identifie la Comité national des droits de l’Homme comme l’un des commanditaires des opérations de désinformation orchestrées par Jean‐Pierre Duthion, Mediacités révèle que cette organisation liée au régime de Doha a payé un voyage dans la monarchie du Golfe à Hubert Julien‐Laferrière, en 2022.
Janvier 2024 - Un détour par le Kazakhstan. Le Parisien révèle que le PNF s’intéresse à une interpellation du Quai d’Orsay par Hubert Julien‐Laferrière, en février 2022, en faveur d’un ancien premier ministre kazakh. Là encore, le lobbyiste Jean‐Pierre Duthion aurait été à la manœuvre.
Nouveau soupçon de corruption pour le député Hubert Julien‐Laferrière
15 février 2024 - Le prix de la corruption ? La cellule investigation de Radio France dévoile de nouveaux éléments de l’instruction du PNF, selon lesquels Hubert Julien‐Laferrière aurait touché environ 5 000 euros par mois pendant un an pour défendre des prises de position favorables au Qatar. Le député quitte le groupe parlementaire des écologistes.
Si nombre d’écologistes n’ont pas souhaité s’étendre sur « l’affaire Julien‐Laferrière », c’est aussi le cas de certains anciens compagnons de route du député. L’ex-maire du 9e arrondissement de Lyon, Bernard Bochard, lui aussi soutien de Grégory Doucet en 2020 juste avant la vague verte, n’a pas souhaité s’exprimer publiquement. « J’ai pris du recul par rapport à la politique », s’excuse-t-il. « Je ne souhaite pas parler d’Hubert Julien‐Laferrière », coupe également court Maud Sgorbini, son ancienne première adjointe dans le 9e arrondissement, entre 2014 et 2017.
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