Nichoirs en plastique, pollution au plomb, Radar… L’impact des enquêtes de Mediacités Lille en 2023

Nos enquêtes ont-elles fait bouger les lignes dans la métropole lilloise ? En guise de bilan - et pour la quatrième année consécutive - Mediacités publie son rapport d’impact. Quels articles ont contribué à corriger des dysfonctionnements  ? Lesquels ont provoqué une prise de conscience voire une procédure judiciaire ? Lesquels enfin, n’ont pas eu les effets que l’on aurait pu attendre au vu de la gravité des faits révélés ?

2023_12_Rapport_Impact_Lille
Pour la quatrième année consécutive, Mediacités dresse son rapport d'impact. Montage : Hadrien Mercier / Mediacités

À quoi ça sert l’investigation locale ? Comment “faire vivre” nos enquêtes ? Comment mettre la pression sur les pouvoirs publics lorsque nos enquêtes dévoilent un dysfonctionnement d’intérêt public ? À l’heure des bilans de fin d’année, l’interrogation sur l’utilité et le rôle d’un média comme le nôtre revient avec acuité toute particulière.
Pour la quatrième année consécutive, nous avons rembobiné le fil des publications des douze derniers mois afin de dresser notre rapport d’impact. Certaines de nos enquêtes ont fait bouger les lignes, d’autres ont initié une prise de conscience ou a minima favorisé un débat. D’autres, enfin, sont pour ainsi dire passées inaperçues et… c’est le jeu !

1. Polémique sur les nichoirs en plastique : les chasseurs et leurs financeurs publics rappelés à l’ordre

Visuel Nichoirs Mésanges
Les nichoirs en plastique proposés gratuitement par la fédération régionale des chasseurs des Hauts‐de‐France sont très critiqués par les scientifiques et les naturalistes. Montage : Marthe Girveau / Mediacités

Rappel des faits : Début octobre, Mediacités mettait un coup de projecteur sur une opération de la fédération des chasseurs des Hauts‐de‐France consistant à distribuer gratuitement 20 000 nichoirs en plastique afin d’héberger les mésanges. Celles‐ci sont en effet des prédateurs naturels de la chenille processionnaire dont la prolifération constitue un danger pour certains arbres, pour les animaux mais aussi les êtres humains. Problème, le choix du matériau est dénoncé par tous les scientifiques tant pour des raisons écologiques que pour les risques qu’il fait peser sur la viabilité des oeufs des oiseaux par temps chaud. Et l’efficacité globale du dispositif est mise en doute. Or ce projet a bénéficié de subventions publiques accordées sans véritable contrôle de la part du Conseil régional et de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Impact : Si l’initiative ne suscite aucune remise en cause du côté de Xavier Bertrand et de la Région où les chasseurs disposent d’une autonomie totale sur toute la politique de la biodiversité – ils se sont vu attribuer 727 000 euros de subvention au titre de leurs actions en 2023 -, l’absence de contrôle sur l’argent donné par l’État aux chasseurs via le fonds diversité commence à faire jaser. Cet été, la Cour des comptes a rendu un rapport très sévère sur une manne de 15 millions d’euros accordée chaque année aux chasseurs par l’OFB sans que celui‐ci ait la possibilité de vérifier la pertinence scientifique des projets aidés. Et le magazine Capital, en association avec la cellule investigation de Radio France, ont passé au crible quelque 800 demandes de subventions déposées depuis quatre ans pour en pointer les multiples dérives. Les nichoirs en plastique des chasseurs des Hauts‐de‐France occupant une place de choix dans une longue liste de mésusages d’argent public.

Nos enquêtes à (re)lire :

Financés sur fonds publics, les nichoirs en plastique des chasseurs des Hauts‐de‐France font polémique

2. À Faches‐Thumesnil, la mairie se saisit du dossier Exide Technologies

2022-10-usine-Exide-Technologies-min
L’usine Exide Technologies, située à la frontière entre Lille et Faches‐Thumesnil. Photo : Brianne Cousin / Mediacités.

Rappel des faits : L’usine de fabrication de batteries au plomb Exide Technologies, implantée entre Lille et Faches‐Thumesnil, pollue depuis un siècle les sols des habitations alentour… dans la plus grande indifférence. Notre enquête a révélé les failles dans les mesures de protection établies par l’Agence régionale de santé (ARS) et les conséquences qu’elles pourraient engendrer sur la santé des riverains.

Impact : Repris à de nombreuses reprises depuis sa publication en octobre 2022 (Wéo, Mediapart, France 2, Le Monde, Vakita…), notre article a participé à la prise de conscience collective du danger que représente la surexposition au plomb. La mairie de Faches‐Thumesnil a entrepris une série de tests, un mois après la publication de notre enquête, sur une quarantaine d’espaces répartis dans la ville… révélant des teneurs en plomb préoccupantes.

Nos articles à (re)lire :

À Lille, Exide Technologies intoxique les habitants en toute discrétion

3. Pour la direction de l’école d’ingénieurs Junia, à Lille, l’obligation d’être plus transparente sur ses difficultés financières

HEI
L’atrium du bâtiment de HEI que la direction de Junia a cédé à l’Institut catholique de Lille afin de rembourser ses dettes. Photo : Matthieu Slisse / Mediacités

Rappel des faits : En septembre dernier, Mediacités révélait les très importantes difficultés financières de Junia, l’école d’ingénieur de la Catho installée dans le quartier Vauban qui scolarise près de 5 000 étudiants. « Nous faisons face à un mur de la dette », détaillait Laurent Espine, le directeur général. En cause un très – trop ? – ambitieux projet immobilier à 132 millions d’euros et une hausse du nombre d’étudiants qui n’a pas eu lieu. De ces difficultés, Junia s’était bien gardée de s’en ouvrir à ses étudiants… jusqu’à la parution de notre enquête.

Impact : Le 9 octobre, soit quinze jours après nos révélations, le directeur‐général de Junia Laurent Espine adressait un mail à l’ensemble des étudiants de l’école. « Certains d’entre vous sont soucieux de la situation de Junia et je souhaitais m’adresser à vous aujourd’hui pour faire le point sur la situation, écrivait‐il. Oui, Junia a connu ces derniers mois une situation économique très tendue. Sachez toutefois que celle‐ci est aujourd’hui maîtrisée et que la direction travaille une nouvelle feuille de route stratégique afin de pérenniser l’association, à moyen et long terme. » Ou comment tenter d’éteindre un incendie… mais trois mois plus tard, il quittait ses fonctions

La situation de Junia est en effet loin d’être « maîtrisée ». La résorption de la dette prendra des années et, dans l’intervalle, les embauches sont gelées depuis le début de l’année provoquant une surcharge de travail pour les employés. Signe de la volonté d’ouvrir un nouveau chapitre, le conseil d’administration sera profondément renouvelé en février prochain, a appris Mediacités. 

Nos articles à (re)lire :

Lille : Junia, l’école d’ingénieurs de la Catho, passe en mode survie

Le directeur général de Junia quitte ses fonctions 

4. Les « bébés coca » à l’ordre du jour politique

2022-11-bébés-coca-Matthieu-Lemarchal
Dans les Hauts‐de‐France, un certain nombre d’enfants en bas âge ne consomment que des boissons sucrées. Illustration : Matthieu Lemarchal.

Rappel des faits : Des enfants aux dents gâtées par les boissons sucrées. Notre enquête sur les « bébés coca », publiée en 2022, révélait l’existence de bambins à la dentition abîmée qui désarçonnent les professionnels de santé des Hauts‐de‐France. Un enjeu de santé publique méconnu et jusqu’alors peu pris en compte par les pouvoirs publics.

Impact : Après la publication de notre article, la sphère politique s’est emparée du sujet. Mais malgré des interpellations de la part de personnalités comme Karima Delli, députée européenne et conseillère régionale, ou encore Amel Gacquerre, députée du Pas‐de‐Calais, les réponses du gouvernement n’ont pas convaincu les professionnels de santé.

Nos articles à (re)lire :

« Bébés Coca » : dans les Hauts‐de‐France, les ravages méconnus du soda sur les très jeunes enfants

5. Radar : plus de 300 promesses de Martine Aubry et de Damien Castelain passées au crible

Mi-mandat Aubry
Le 16 octobre 2023, Martine Aubry a donné une conférence de presse afin de présenter son bilan à mi‐mandat. Photo : Mairie de Lille

Rappel des faits – En 2020, Mediacités lançait Radar, notre outil de suivi des promesses de campagne de Martine Aubry et de Damien Castelain. Convaincus que « les pouvoirs exécutifs des grandes villes ont des comptes à rendre à leurs électeurs », nous nous sommes attaqués au suivi des 215 engagements côté mairie et des 104 promesses côté métropole.

Impact : L’année 2023 marquant la mi‐mandat des deux élus locaux, l’équipe de Mediacités Lille s’est lancée dans une analyse minutieuse de leurs promesses pour dresser un premier bilan. Nous avons constaté une prise en compte tardive des enjeux environnementaux de la part des deux édiles, provoquant l’ire de Martine Aubry. Lors d’une conférence de presse dédiée à son bilan, cette dernière a d’ailleurs tenu à nous rappeler que « le dérèglement climatique n’était pas une crise nouvelle » et que la mairie n’avait « pas attendu ce mandat pour agir ». On aurait souhaité approfondir la question avec elle. Mais, suite à notre article sur le sujet, la mairie de Lille a refusé notre demande d’entretien.

Nos articles à (re)lire :

6. Le Ceti

CETI Linkedin
Installé à la croisée de Tourcoing, Roubaix et Wattrelos, le Centre européen des textiles innovants ne survit depuis sa naissance que grâce à des subventions publiques. Une situation critiquée par la Chambre régionale des comptes alors que le Ceti diversifie ses activités au delà de sa mission de recherche. Photo : LinkedIn @Ceti

Rappel des faits :  Publié au coeur de l’été, un rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) dresse un état inquiétant de la situation du Centre européen des textiles innovants (Ceti). Car si cette structure associative est bien dirigée par des organisations patronales, elle ne doit sa survie depuis sa naissance qu’aux subventions publiques de toutes origines : Europe, État, Région, Département et Métropole européenne de Lille. Malgré cela, le Ceti n’a cessé d’accumuler les déficits et a cherché le salut dans des activités industrielles au lieu de se concentrer principalement sur la recherche. Une dérive qui l’a conduit à co‐financer une société de recyclage de vêtements… à côté de Bayonne. Les très généreux financeurs locaux n’ont pour l’instant rien trouvé à redire à cette apparente aberration malgré l’avertissement de la CRC qui estime, par ailleurs, que la « pérennité même du Ceti apparaît menacée » s’il ne fait pas évoluer son objet, son modèle économique et sa forme juridique.

Impact : En dehors de Mediacités, aucun media n’a évoqué le rapport au vitriol de la CRC alors que les aides publiques approchent un total de 50 millions d’euros sur dix ans. Est‐ce ce désintérêt apparent qui a autorisé la Région et la Métropole de Lille à ne pas répondre à nos questions concernant l’usage qui a été fait de cet argent public ? Sommes‐nous les seuls à nous interroger sur le bien fondé d’aller créer une entreprise à 1 000 kilomètres du quartier de L’Union, entre Tourcoing et Roubaix, où est installé le Ceti ? Et sommes‐nous les seuls à nous inquiéter de l’avertissement de la CRC selon laquelle le Crédit impôt recherche qui lui a été accordé pourrait être contesté, à partir du moment où beaucoup de ses activités s’éloignent de la recherche. Réponse, peut‐être, en 2024.

Notre enquête à (re)lire :

Les errances du Ceti, fleuron nordiste des textiles innovants et gouffre à subventions

Les rendez‐vous judiciaires 

Plusieurs enquêtes de Mediacités vont connaître un débouché judiciaire en 2024. Le président de la Métropole européenne de Lille (MEL), Damien Castelain, est convoqué le 12 février au tribunal de Lille pour diverses affaires, dont celle de ses frais personnels payés par la collectivité que nous avons révélée près de six auparavant, les 15 et 18 juin… 2018 ! Le procès pour – entre autres motifs – « détournement de fonds publics » et « recel d’abus de biens sociaux » aurait dû se dérouler en juillet dernier mais une grève des « petites mains de la justice » (greffiers, huissiers…) avait provoqué un report.

Le grand retard de la justice s’explique aussi par la décision – contestée – de la vice‐procureure Noémie Roche de fusionner le dossier des frais avec celui dit des « pierres bleues ». Damien Castelain devra aussi s’expliquer sur ses dépenses personnelles d’avocat payées, là encore, par la collectivité comme nous l’avons révélé. Bruno Cassette, son ancien directeur général des services, et Constance Tembremande, son ancienne conseillère presse, sont convoqués à ses côtés pour des faits présumés de « favoritisme ». Le procès devrait s’écouler sur 3 à 4 jours. Il pourrait hypothéquer la suite de la carrière politique de Damien Castelain en cas de peine d’inéligibilité avec exécution provisoire.

Une semaine auparavant, les 5 et 6 février, c’est à la Cour d’appel de Douai que le maire de Roubaix, Guillaume Delbar, est attendu aux côtés de son ancien premier adjoint Max‐André Pick et de nombreux autres protagonistes dans le dossier de fraude fiscale en bande organisée aux micro‐partis révélé par nos confrères de La Voix du Nord mais largement documenté par nos soins. En première instance, Guillaume Delbar avait écopé d’une peine de six mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité. Grand organisateur de cette fraude – dont il a notamment fait profiter certains membres de sa famille -, Max‐André Pick – toujours conseiller municipal de Roubaix et conseiller départemental – risque la peine la plus lourde (il a été condamné à dix‐huit mois de prison dont six mois avec sursis en première instance et trois ans d’inéligibilité). Il pourrait perdre tous ses mandats.

Du côté de Valenciennes, le maire Laurent Degallaix est sous le coup de deux dépôts de plainte pour « trafic d’influence » et « subornation de témoin » que nous avons révélées. Il aurait usé de son influence pour procurer à l’une de ses protégées un emploi dans une société d’économie mixte dépendant de la municipalité, puis fait pression auprès d’un des anciens collègues de cette dernière pour qu’elle retire sa plainte. Les auditions, menées par la brigade financière de Lille, sont en cours dans le cadre de l’enquête préliminaire qui a été ouverte sur ce dossier qui tracasse énormément Laurent Degallaix.

Aucun commentaire pour l'instant

Publié le

Modifié le

Temps de lecture : 9 minutes

Favorite

Par La rédaction de Mediacités

Attention : journal en danger !
Soutenez Mediacités !

Depuis bientôt huit ans, notre journal d’investigation propose des enquêtes sur les pouvoirs locaux dans les grandes métropoles. À Lille, Lyon, Nantes et Toulouse, des dizaines de journalistes publient en toute indépendance des informations inédites qui nourrissent le débat public et produisent de l’impact.
Aujourd’hui, notre campagne de financement participatif à atteint la moitié de l’objectif. Mais nous avons encore besoin de votre aide.
On vous explique tout ici :

Comment soutenir Mediacités ?

D’ici au 31 décembre, chaque coup de pouce compte !

Ceci fermera dans 25 secondes