La gare de Raismes est déserte, ce jour‐là, car tous les trains sont annulés ou en retard. La faute, paraît‐il, à des travaux en gare de Valenciennes. Le bar‐tabac d’en face, lui, est bien fréquenté. Les tables ont été sorties sur la terrasse et des familles s’y agglutinent pour profiter un peu du beau temps et des vacances scolaires. Sur la rue Roger Salengro, qui traverse la ville de part en part, les passants se font rares – à l’exception de deux dames d’un certain âge qui discutent sur leur palier.
Raismes, ancienne ville minière voisine de Valenciennes, compte 12 500 habitants : 40% ont moins de 30 ans et 4 jeunes sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté. Lors de la récente élection présidentielle, c’est Marine Le Pen qui a recueilli le plus de voix. Et de loin. Le président réélu n’a convaincu que 34,4% des votants au second tour. On s’en doutait un peu car lorsque nous nous y rendons, en cette période ensoleillée de l’entre-deux-tours, les affiches d’Emmanuel Macron sont presque toutes taguées et déchirées. Celles de la candidate du Rassemblement national, elles, sont quasi intactes.
Mais ce qui prime surtout, à Raismes, c’est le désintérêt pour les élections. Au second tour, 34,9% des inscrits sur les listes électorales ne sont pas allés voter, contre 28% à l’échelle de la France entière. Rien de nouveau : dans le coin, ce n’est pas la première fois qu’on s’abstient autant.
« Les habitants ont une fâcheuse et récurrente tendance à bouder les urnes dans les instances démocratiques. Ça ne veut pas dire qu’ils se désintéressent de la vie politique. La politique, ils en discutent tous les jours, même sans le savoir », analyse Aymeric Robin, maire (PCF) de la ville depuis 2013 et président de la communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut. En 2020, il est réélu dès le premier tour avec 66,6% des voix. L’abstention frôle alors les 60%… C’est peu dire qu’il était nécessaire de « réconcilier le citoyen avec la politique », comme il le souhaite.
Une politique sur quinze ans
En 2017, l’édile donne le top départ de « Raismes 2032 », une vaste ambition de reconstruction citoyenne de la commune. Son rêve : « rendre l’habitant acteur de la ville dans laquelle il vit et le rabibocher avec la politique ». La participation citoyenne devient une politique publique à part entière, « au même titre que l’éducation, le sport, les affaires sociales ». Pour atteindre son objectif, Aymeric Robin se donne quinze ans. « Les spécialistes du développement local s’accordent pour dire qu’il faut quinze ans pour transformer un territoire, explique‐t‐il. Et en plus, ça correspond bien aux dates de mandat électoral. »
Une grande consultation citoyenne est alors organisée pour « se pencher sur l’avenir de la ville et définir les grandes orientations ». Des points saillants sont apparus : la valorisation de la forêt [qui couvre les deux tiers du territoire], l’aménagement du centre‐ville, l’importance du lien social… « Les idées viennent des habitants, poursuit le maire. On les intègre ensuite dans un projet global, on va chercher les moyens, via des appels à projets par exemple, et on poursuit avec les habitants. »
« Le premier frein à la participation, c’est le sentiment d’illégitimité »
En octobre 2021, la Ville organise un « marathon des idées » dans son château Mabille, devenu plus tard le « R’Lab », laboratoire de participation citoyenne raismoise. L’objectif : recueillir, encore une fois, les doléances des citoyens. Une sorte de « budget participatif amélioré », comme l’appelle Marion Roth, chargée de cours sur la participation citoyenne dans les collectivités à l’université Panthéon‐Sorbonne. Une centaine de personnes fait le déplacement pour participer, pendant environ cinq heures, à ce brainstorming géant. « Il y avait des jeunes, des personnes âgées, venant de plusieurs quartiers », se souvient Grégoire Pétel, Raismois de 49 ans très impliqué dans la vie citoyenne.
De cette session émergent trois idées, qui ont recueilli le plus de votes des habitants : la création d’un espace de sport‐fitness pour que les jeunes filles se réapproprient l’espace public ; la modernisation du mobilier urbain ; et la volonté d’organiser des actions de solidarité entre les habitants ou en direction du monde caritatif. Suite à quoi, des ateliers sont organisés pour que les Raismois s’emparent de leur sujet. « On va se revoir tous les deux mois jusqu’à ce qu’on arrive à monter un projet », leur explique Aymeric Robin.
Au‐delà des projets d’urbanisme, la ville souhaite encourager l’implication des citoyens en mettant l’accent sur l’éducation populaire. Des événements autour de l’engagement citoyen, du fonctionnement des médias ou de l’alimentation prendront désormais place au R’Lab. Des interventions dans les collèges et lycées sont aussi organisées pour sensibiliser à l’égalité entre les genres dès le plus jeune âge. Pour Marion Roth, ces ateliers pourraient permettre d’ouvrir la participation au plus grand nombre : « Le premier frein à la participation, c’est le sentiment d’illégitimité. C’est ça qui fait que, dans les réunions, on ne trouve que des vieux hommes blancs retraités. Il faut réussir à casser ce sentiment. »
L’exemple du square de Vicoigne
Des projets portés par les habitants, Raismes en a vu fleurir depuis 2017 : des équipements sportifs pour les jeunes, une ferme pédagogique, la plantation d’arbres fruitiers en ville… Des projets d’urbanisme principalement, qui bénéficient d’un cofinancement de la Région. D’autres vont voir le jour, comme la modernisation de la place en face de la mairie, financée à hauteur d’un million d’euros par la Région dans le cadre de l’appel à projets centre‐villes et centre‐bourgs.
Dans le quartier de Vicoigne, Grégoire Pétel et Vicky Wuelche, une habitante du quartier de 36 ans, nous ont donné rendez‐vous dans le square, autour des jardinières. Il sera bientôt temps de planter des herbes aromatiques et autres légumes, « après les Saints de glace ». En juin 2020, cette ancienne friche urbaine a été transformée en parc pour habitants de tous les âges. Cerné d’arbres fruitiers, le square de Vicoigne abrite aussi un skatepark, des jeux pour enfants et des aires de repos modernes. Sans oublier les quelques places de parking, utiles à ceux qui viennent d’un peu plus loin.
Un peu déserté en cette période de vacances de Pâques, le square est quand même investi par quelques jeunes venus profiter du beau temps et jouer au basket. « Au début, on ne savait pas trop quoi en faire. Certains voulaient transformer la friche en parking pour l’école, juste à côté. Plusieurs personnes souhaitaient créer quelque chose pour les enfants, d’autres encore un espace à cultiver. Quant aux jeunes, ils demandaient un skatepark, explique Vicky Wuelche. Finalement, on a décidé de tout mélanger pour que ce petit bout de square serve à tout le monde. »
En 2019, un groupe d’une quinzaine d’habitants, dont font partie Vickie Wuelche et Grégoire Pétel, se réunit une fois par mois pour réfléchir à l’avenir de la friche. Encadrés par l’association Pousses de Pan, qui accompagne les projets de réappropriation des espaces verts, les participants dessinent le plan du square, discutent et votent les idées retenues en fonction du budget accordé – 100 000 euros, financé à moitié par la Région Hauts‐de‐France.
« Malheureusement, ça s’est arrêté net avec le Covid », se souvient Vickie Wuelche, qui est bergère de métier. « Mais le plus gros a été fait avant la crise sanitaire », nuance son ami. Depuis son inauguration en juin 2020, le parc continue d’être animé par le collectif d’habitants référent du square de Vicoigne. « Le but, c’est de faire vivre le lieu. Là, il y a des bacs. L’année dernière ça n’a pas bien poussé, mais cette année, on va essayer de replanter », imagine, rêveur, Grégoire Pétel, artisan en bâtiment et fan de jardinage à ses heures perdues, devant un large pot de terre sèche.
« C’est comme dans le football, pour voir un beau match, il faut deux belles équipes »
« Raismes, c’est une ville où les habitants peuvent s’impliquer s’ils en ont envie. On a la possibilité de donner nos idées et de les réaliser », s’anime Vickie Wuelche. La trentenaire a commencé à s’intéresser au sujet de la participation citoyenne lorsqu’elle était en congé parental. Elle n’a jamais raccroché depuis. Ancienne habitante d’Orchies, elle considère que sa voix est davantage écoutée dans sa nouvelle ville d’adoption. Mais elle remarque quand même que « les nouvelles têtes » viennent à manquer.
Réussir à capter le plus d’habitants possible représente un véritable défi pour la ville, voire la clé de la réussite. « Si on n’y arrive pas, on est mort !, s’inquiète Aymeric Robin. C’est comme dans le football, pour voir un beau match, il faut deux belles équipes. » Marion Roth le conçoit et réfléchit à quelques stratagèmes pour ouvrir la porte à une plus grande participation. « La question se pose de l’indemnisation des habitants qui prennent du temps pour l’intérêt général. Une indemnisation similaire à celle des jurés d’assises. » Pour encourager la participation des femmes, et surtout des mères, elle incite aussi à la mise en place de crèches ou de systèmes de garde d’enfants pendant les réunions.
« Le deuxième risque, c’est le temps long, estime le maire Aymeric Robin. Quand j’ai dit « Raismes 2032 » aux habitants, on était en 2017 et personne n’était convaincu. Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas parce qu’on réfléchit sur quinze ans que tout doit se faire dans quinze ans. Ce temps long est de plus en plus accepté car ils voient la réalité concrète sous leurs yeux. » La durée moyenne de réalisation des projets déjà mis en place à Raismes, comme le square de Vicoigne, la ferme pédagogique ou encore les équipements de sport en plein air pour les jeunes, a été de deux ans. Une durée « très correcte » pour Marion Roth, qui reconnaît la difficulté de faire admettre le « temps de l’administration » : « Le problème, c’est souvent la fin du mois. On s’en fiche des projets qui durent vingt ans. »
Une spécificité des petites et moyennes villes ?
Pour mener à bien sa politique de démocratie participative, la mairie s’est inspirée d’autres expériences comme Loos‐en‐Gohelle, à côté de Lens, qui finance les idées des citoyens en échange de leur implication dans leur réalisation ou leur gestion. « Je ne me suis pas levé un matin en me disant : « Allez je vais mettre tout ça en place ! » », ironise Aymeric Robin. D’autres villes et villages de France se sont distingués pour leur engagement en faveur de la démocratie participative. C’est le cas de Châtel‐en‐Trièves, petite commune du sud de l’Isère d’un peu moins de 500 habitants. Le modèle est comparable à celui de Raismes, à la différence que les habitants s’emparent davantage des projets lorsqu’ils sont achevés. « Il y a une forte participation, sourit la maire du village, Fanny Lacroix. La petite taille de la commune a vraiment aidé puisque tout le monde se connaît. Il n’y a qu’en milieu rural qu’on voit ça. »
Pour le maire de Raismes cependant, le modèle peut tout à fait être dupliqué. Cette politique pourrait, selon lui, être transposée à l’échelle des quartiers dans de plus grandes villes. « Je suis convaincu que c’est à la portée de tous. Nous en sommes la preuve : on s’est inspirés de ce qui se faisait ailleurs pour l’appliquer à notre ville et à ses spécificités. »
Merci pour ce bel article, redécouvert grâce au prix obtenu : bien à l’image du super travail des équipes locales ; longue vie à Médiacités 🙂
Ca marche à Raismes (12.000 habitants) comme à Loos en Gohelle (8.000 habitants) mais cela reste compliqué dans les villes comme Lille où les quartier comme Wazemmes regroupent 27.000 habitants : une seule solution, le microlocal comme cela se réalise avec les Projets d’Initiatives Citoyennes (Initiatives Habitants pouvant prétendrent à 800 € de financement) mais en élargissant le financement justement et l’accompagnement des projets par les mairies de quartier, la Ville, la MEL…?
La commune devrait représenter le plus bel environnement pour une vraie démocratie (et participation citoyenne), c’est malheureusement souvent l’inverse.