Engagé depuis longtemps dans le Conseil de développement de Nantes Métropole, auprès de Jean‐Joseph Régent puis de Philippe Audic, j’exprime ici ma passion pour que vive librement une expression citoyenne, à distance des émotions fugaces, de la pression de l’immédiateté et de l’air du temps.
Je partage la volonté métropolitaine de faire vivre la citoyenneté mais, au‐delà des intentions affichées, je déplore que le débat de fond sur la conception du dialogue citoyen, la gouvernance et l’organisation du futur Conseil de développement soit occulté. J’espère avec conviction, mais prudence, qu’il n’est pas trop tard pour essayer de l’ouvrir.
L’affichage du dialogue citoyen
Depuis le début du nouveau mandat, en juillet 2020, la Métropole a séquencé le contenu de sa gouvernance en matière de dialogue citoyen. Se sont ainsi enchaînées les délibérations « poupées gigognes », parfois redondantes et peu lisibles pour le citoyen. Il y a eu l’approbation le 16 octobre 2020 d’une charte de déontologie, le 9 avril 2021 d’un pacte de gouvernance et enfin le 8 octobre 2021 d’un pacte de citoyenneté. Parfois les élus eux‐mêmes s’y perdent…
Dans ces trois documents, la Métropole affirme sa volonté d’une démocratie en continu (selon l’expression de Pierre Rosanvallon), inclusive et citoyenne. Tout en réaffirmant la pleine légitimité de la démocratie représentative, le dialogue citoyen est un principe affirmé de l’action publique locale.
La délibération du 8 octobre 2021 traite la refondation du Conseil de développement dans cette logique de poupées gigognes. La Métropole a ainsi confié une mission de préfiguration du nouveau Conseil à un collectif d’une dizaine de personnes, qu’elle « encadrera ». Nul ne connait les critères de choix des membres de cette mission qui s’ajoute au groupe d’élus déjà constitué pour l’élaboration du pacte de citoyenneté métropolitaine. Une poupée gigogne de plus ?
Le format du futur Conseil de développement. Un débat occulté ?
La composition de ce collectif de citoyens doit répondre à des critères multiples difficilement compatibles pour un petit groupe : parité, diversité géographique, socio‐professionnelle et générationnelle. Des membres de l’ancien Conseil y participent mais aucun vraiment impliqué dans l’équipe d’animation. Faire du passé table rase ?
Pour la crédibilité de ce collectif, ses débats devraient être publics et le rôle des élus et des services, plus clairement défini.
Cette mission « citoyenne » de préfiguration précisera l’organisation du futur Conseil, sa composition, sa gouvernance, les moyens nécessaires et les partenariats à engager. Y aura‐t‐il un président ou une présidente, un tandem, une gouvernance collective ? Y aura‐t‐il un secrétaire général rattaché ou non aux services métropolitains ? C’est capital pour le futur Conseil et cela mérite, au nom du dialogue citoyen et de la co‐construction, un large débat avec une garantie d’indépendance.
Il faudra attendre mi‐2022 pour connaître le visage du nouveau Conseil. C’est bien long alors qu’il y a urgence à faire vivre le débat citoyen sur les politiques de santé, de transition écologique, de mobilités, de sécurité… qui font la vie quotidienne des habitants. Compte tenu des délais de mise en œuvre, ce nouveau Conseil ne sera pas opérationnel avant 2023, c’est-à-dire déjà à mi‐mandat.
Une remise en cause des principes fondateurs du Conseil de développement ?
La Métropole a formellement repris les propositions de refondation émises par l’ancien Conseil : chambre du futur, pôle de débat public… Elle y a ajouté un droit d’interpellation qui est une vraie avancée citoyenne et démocratique.
On pourrait s’en réjouir mais derrière les discours c’est bien « l’appareil métropolitain », élus et services, qui reprend la main, alors que l’originalité du Conseil de développement voulue par ses fondateurs, Jean‐Joseph Régent et Jean‐Marc Ayrault, était justement son indépendance.
Jusqu’à présent la Métropole confiait, dans un rapport de confiance, au nouveau président du Conseil de développement l’organisation du renouvellement. Pourquoi changer ce qui a fonctionné dans une démarche gagnant‐gagnant alors que la métropole plaide pour la co‐construction ?
L’ancien Conseil reposait sur une participation ouverte, en continu, de citoyens volontaires bénévoles quels que soient leur âge et leur genre. Certes, les têtes grises étaient majoritaires, la parité homme‐femme assez faible mais ce sont ces citoyens, ancrés dans le tissu associatif, les milieux économiques ou universitaires ou encore dans la vie de leur quartier qui ont apporté leurs expertises d’usage et contribué à la qualité des contributions du Conseil. Le tout étant renforcé par l’apport de conférences publiques de grande qualité.
Une place pour un conseil autonome
C’est ce qui a fait du Conseil un espace de créativité qui a osé proposer le renforcement de l’intercommunalité et plus récemment la territorialisation des politiques publiques, la transformation des pôles de proximité et la reconnaissance d’une citoyenneté métropolitaine. Il n’est pas sûr que les habitants y auraient spontanément adhéré mais faut‐il être représentatif avant tout ou plutôt oser construire de la pensée territoriale et ouvrir des horizons nouveaux ?
La Métropole, avec ses dispositifs de dialogue citoyen, a toute légitimité pour « prendre le pouls » des habitants. Mais est‐ce suffisant dans un contexte souvent marqué par les émotions du moment ? Il y a place pour un Conseil de développement autonome, à côté du dispositif citoyen métropolitain. Un pôle de débat public a été mis en œuvre réunissant le CCO, la revue Place publique et l’institut Kervégan avec le Conseil de développement pour socle. C’est un des éléments d’une « qualité citoyenne » qui doit rester l’objectif à poursuivre. Il faut préserver ce type d’espace d’information et de formation qui concoure à la vie démocratique.
Le risque de la banalisation
À défaut, le Conseil de développement risque de devenir un outil banalisé, intégré dans le pilotage métropolitain. La constitution au sein des services métropolitains d’une grande direction « démocratie et stratégie » est la marque d’une volonté politique en matière de dialogue citoyen, mais c’est aussi un risque d’uniformisation, voire de bureaucratisation… La métropole doit accepter que tout ne procède pas d’elle et qu’à ses marges puissent exister des structures qui, au final, confortent son action.
Un Conseil de développement à la nantaise reposant sur ses fondamentaux « historiques » a toute sa place dans la Métropole. A défaut, faudra‐t‐il imaginer demain de nouvelles formes d’expressions citoyennes en « off » de la Métropole pour continuer à faire vivre les valeurs démocratiques. Au moment des vœux, on peut former celui que Nantes soit à la pointe du dialogue avec les citoyens, non pas avec des dispositifs formatés mais plutôt avec la préservation du goût de la controverse argumentée et libre.
Très beau article. Nous sortirons de la violence, du ressenti, de la défiance par plus de démocratie.
Cette nouvelle démocratie est à construire. Joe Spiegel nous invite dans cette direction et il me semble avec un réelle succès. Nous avons pas le choix ou nous retournerons vers des jours plus sombres.
Merci Michel de cet exposé.
La « démocratie participative » est devenue un enjeu politique de maitrise du pouvoir. C’est à qui en rajoutera, mieux et plus…C’est devenu et ce sera certainement un bon business de consultants, bureau d’études, etc…
C’est peut‐être une phase inévitable, et il en ressortira éventuellement du positif après évolution.
Ou au pire le dirigisme, inavoué, inavouable et/ou inconscient prendra le dessus.
Ici, je pense toujours que le débat sur les institutions françaises n’a rien donné. Sauf dans quelques petites communes.
Belle fin de ton article : « non pas avec des dispositifs formatés mais plutôt avec la préservation du goût de la controverse argumentée et libre. »
Patrice