De plus en plus répandu, le phénomène des maisons fissurées s’explique par un mécanisme survenant lors des périodes de sécheresse : le retrait‐gonflement des argiles (RGA). Lorsque les sols argileux se déshydratent, ils se contractent, ce qui provoque parfois des dégâts importants aux bâtiments.
Les deux facteurs clés de l’apparition de ces fissures sont donc la présence d’un sol argileux et la récurrence des épisodes de sécheresse. Si la nature des sols relève de caractéristiques géologiques immuables, les sécheresses, quant à elles, sont de plus en plus fréquentes en raison des dérèglements climatiques provoqués par les activités humaines.
Ces épisodes de sécheresse peuvent être considérés comme des externalités négatives : des effets collatéraux des activités économiques, non pris en compte par les acteurs responsables.
Quel est l’impact de ce phénomène ? Et quelles leçons tirer du phénomène des maisons fissurées pour mieux gérer collectivement les futures conséquences du dérèglement climatique ?
Mediacités et The Conversation
Ce texte est la reprise d’un article initialement paru sur le site The Conversation, média indépendant qui publie des articles d’universitaires et de chercheurs sur des sujets d’actualité. Il est signé par Antoine Prévet, économiste à l’école des mines de Paris. Nous le republions ici in extenso.
Les maisons fissurées : un phénomène inégalitaire et en croissance
Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estime que 48,5 % du territoire est en exposition moyenne ou forte au RGA. Le phénomène des maisons fissurées est donc d’une importance nationale. Il est aussi en forte croissance. La figure suivante représente l’évolution du nombre de catastrophes naturelles pour les sécheresses et les mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, deux catégories de catastrophes à rapprocher du RGA.
On y voit, d’une part, que les sécheresses suivent une certaine périodicité par intervalles d’une dizaine d’années, avec un premier cycle qui se termine au début des années 2000, un deuxième qui prend fin autour de 2014 et un troisième qui n’a pas encore atteint son terme. D’autre part, le nombre d’occurrences augmente très fortement dans le dernier cycle observé, comme l’illustre la moyenne glissante sur 10 ans représentée en bleu. La sécheresse étant la cause principale des RGA, une telle augmentation des épisodes de sécheresse ne peut qu’aggraver le phénomène des maisons fissurées.
Toutefois, ce phénomène est très inégalement réparti sur le territoire, puisque dépendant de la constitution des sols. Cette hétérogénéité est également doublée d’une hétérogénéité patrimoniale. Selon l’estimation réalisée par le Service des données et études statistiques (SDES) en 2021, 10 430 299 logements seraient exposés à un risque moyen à fort de RGA. De fortes différences existent cependant selon le type de propriété. Près de 45 % des logements exposés ont été construits après 1975 et sont plus vulnérables que des bâtiments plus anciens.
L’exposition hétérogène à l’aléa rend difficiles l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique nationale, qui, par définition, a vocation à s’appliquer à tous et sur l’ensemble du territoire.
Néanmoins, cette difficulté semble être commune à de nombreuses conséquences des bouleversements climatiques (augmentation des températures en villes et pollution, augmentation du niveau des eaux, difficulté de cultures agricoles localisées comme la vigne…). Le traitement en politique publique du RGA peut faire école pour les problématiques qu’il faudra gérer.
Les conséquences économiques et les solutions mises en œuvre
L’apparition de fissures engendre des coûts de réparation et de relogement importants. La solution préférée jusqu’à présent est la compensation financière par assurance privée ou fonds publics. Toutefois, ces solutions ne semblent pas suffire et, a fortiori, ne seront pas adaptées aux futures conséquences des bouleversements climatiques.
Tous les rapports récents des grandes institutions publiques s’inquiètent de l’incapacité du dispositif d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit « CatNat », à faire face aux conséquences des évolutions climatiques. Ce dispositif permet aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités d’être indemnisés en cas de situation déclarée catastrophe naturelle. En particulier, Christine Lavarde souligne dans son rapport d’information au Sénat qu’« il est estimé que le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050 représenterait un coût de 43 milliards d’euros, soit un triplement par rapport aux trois décennies précédentes. Le régime CatNat ne serait ainsi plus en mesure de dégager assez de réserves pour couvrir les sinistres à l’horizon 2040 ».
Dès lors, d’autres solutions doivent être envisagées, par exemple :
- Une augmentation des ressources associées au dispositif CatNat au prix d’une réduction de fonds alloués aux autres programmes publics ou à une augmentation des prélèvements pour répartir le coût du phénomène sur l’ensemble de la collectivité.
- Une modification des normes de construction pour réduire le risque d’apparition de fissures. Cette solution est mise en avant dans le rapport Ledoux dédié au RGA et qui s’articule autour de trois axes : réduction de la survenance, adaptation de la prise en charge des victimes et adaptation des logements au changement climatique.
- Une refonte du marché immobilier pour s’adapter aux nouvelles réalités climatiques. Certains pays, où les logements sont fortement exposés aux aléas naturels, ont mis en place des modèles différents du nôtre. Au Japon, par exemple, la valeur immobilière repose essentiellement sur le terrain, tandis que les maisons elles‐mêmes, relativement peu coûteuses car construites en bois la plupart du temps, sont souvent détruites et reconstruites tous les 20 à 30 ans. Cela permet aussi de renouveler le parc immobilier avec des constructions très récentes et donc très efficaces d’un point de vue énergétique.
De plus, les solutions compensant simplement les dégâts ne prennent pas en compte la diminution de la valeur des biens immobiliers. La probabilité des RGA, même si la maison n’est pas fissurée, est intégrée par les acheteurs potentiels et a un impact direct sur le prix de marché. Selon nos estimations, une augmentation de 1 % de la surface exposée dans la commune conduit, en moyenne, à une réduction significative du prix au mètre carré de 29 euros. La prise en compte de ce manque à gagner augmenterait encore les montants à verser…
« 45% des logements exposés ont été construits après 1975 » dites vous. La source à laquelle vous faites référence indique elle que « 58% des sinistres concerne des maisons construites après 1976 ».
Mais les principaux responsables de ces maisons fissurées sont…ceux qui les ont fait construire…
En effet, si je veux bien admettre qu’entre 1975 et 1990, il y ait pu avoir en France une relative ignorance sur le sujet, celui‐ci est parfaitement documenté depuis les sécheresses des années 89/90 (60 départements touchés , 2 milliards de francs de sinistre), et tous les aménageurs et constructeurs sérieux ont alors mis en garde leurs clients sur les risques des fondations superficielles.
Beaucoup d’entre eux ont alors préféré se tourner en toute connaissance de cause vers des aigrefins pour faire une petite économie…au nom de quoi devraient‐ils bénéficier aujourd’hui de la solidarité nationale ?