La France dépense« »t‐elle assez pour ses universités ?
Au détour de petites phrases sujettes à interprétations, Emmanuel Macron a fait du financement de l’enseignement supérieur un des thèmes de la campagne. Son insistance à souligner une part de subventions publiques sans équivalent dans le monde, selon lui, mérite quelques éclaircissements.
Quelques formules ambigües d’Emmanuel Macron ont suffi à enflammer le sujet du financement des études supérieures et à l’installer dans la campagne présidentielle. S’exprimant le 13 janvier devant les présidents d’universités, le chef de l’État a émis le vœu d’une réforme « structurelle » visant à réformer un système « où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi‐totalité des étudiants ».
Chez plusieurs des candidats à l’Élysée, la petite phrase a immédiatement été interprétée comme une prise de position en faveur d’une hausse des droits d’inscription, ce que le principal intéressé a démenti. Alors qu’Emmanuel Macron affirme que la France est le pays où l’État finance le plus l’enseignement supérieur, tous font au contraire le constat d’un sous‐investissement et tirent à boulets rouges sur son bilan.
« Depuis cinq ans, il n’y a ni réforme, ni moyens », a ainsi dénoncé la candidate LR Valérie Pécresse. Tout aussi critique, l’écologiste Yannick Jadot a promis de « réinvestir dans l’enseignement supérieur » et de créer « une centaine de milliers de places » en université pour les étudiants. Alors, l’État doit‐il dépenser plus pour les universités ou faut‐il trouver une autre façon de les financer ? État des lieux.
Un investissement global en hausse irrégulière…
La France a consacré 32,6 milliards d’euros à son enseignement supérieur en 2019, une Dépense d’Investissement dans l’Enseignement (DIE) qui recouvre à la fois les investissements publics et privés. Ce montant est deux fois plus élevé qu’en 2000. Mais il s’agit d’une hausse irrégulière. Depuis un peu plus de dix ans, elle progresse par à‑coups avec des paliers. Un tel tassement s’observe sur les trois premières années de la présidence Macron.
Cette dépense représente 1,47 % du Produit intérieur brut (PIB) en 2018. Un chiffre globalement stable depuis 2009. L’investissement de la France est à peine supérieur à la moyenne des 38 pays membres de l’OCDE (1,43 % du PIB). L’effort est moindre que celui de la majorité des pays d’Europe du Nord (1,67 % aux Pays‐Bas par exemple) et beaucoup plus faible que celui du Royaume‐Uni (2 %). Sans parler des Etats‐Unis (2,5 %)… Mais la France dépense proportionnellement davantage que l’Allemagne (1,24 %). Et plus que ses grands voisins du sud, Espagne et Italie.
… insuffisant face à l’augmentation du nombre d’étudiants
L’effort de la France en matière d’enseignement supérieur peut ainsi être qualifié de moyen selon les comparaisons internationales. Il s’avère insuffisant pour répondre à la croissance de la population étudiante, notamment depuis le tournant des années 2010.
« Entre 2008 et 2018, le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur en France est passé de 2,2 millions à 2,7 millions, soit une hausse de plus de 20 %, alors qu’en parallèle, le budget de l’enseignement supérieur n’augmentait que d’environ 10 %, en prenant en compte l’inflation, détaille Asma Benhenda, enseignante‐chercheuse en économie à l’University College de Londres, dans une interview au Monde. La dépense par étudiant a donc baissé de presque 10 % sur la période. »
La France consacrait 11 580 euros par étudiant en 2020, selon l’Insee. Soit un investissement moyen ramené au niveau… de 2006. Ce montant a connu un pic durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, à 12 840 euros en 2009, avant de baisser de façon quasi régulière depuis.
Cet indicateur place la France, là encore, juste au‐dessus de la moyenne de l’OCDE. Avec toujours les pays d’Europe du Nord dans le peloton de tête tandis que l’Allemagne reste derrière l’hexagone (10 435 dollars par étudiant). Dans ce palmarès, le Royaume‐Uni (22 291 dollars) et surtout les États‐Unis (29 152 dollars), apparaissent hors concours grâce à leurs universités prestigieuses. Celles‐ci bénéficient d’apports privés importants et de de droits d’inscription élevés, surtout pour les étudiants étrangers.
Trop de financement public, selon Macron ?
Emmanuel Macron voudrait‐il s’inspirer de ce mode de financement ? Devant les présidents d’universités, le président de la République a en tout cas pointé les limites du système actuel en stigmatisant un « modèle qui est beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde ». Cette petite phrase sibylline pourrait laisser entendre que l’Etat aurait atteint ses limites en la matière. Mais cette affirmation est exagérée, voire tout simplement fausse.
D’après des chiffres de 2017, l’université française est certes financée à 87 % par des subventions publiques (l’État prend en charge 81 %, les collectivités territoriales et l’Union européenne le reste), avec des droits d’inscription qui ne pèsent que 2 % de leurs ressources. Mais ce taux atteint 96 % dans un pays comme la Finlande.
De plus, si l’on considère l’enseignement supérieur dans son ensemble – privé et public – la part du financement public est loin d’avoir atteint un sommet historique. Elle est au contraire en baisse, passant de 82 % en 2010 à 78 % en 2018 et même 77,3 % en 2019, selon les dernières données du gouvernement. Ce taux situe la France toujours au‐dessus de la moyenne de l’OCDE (71,4 %) mais en dessous de celle d’Union européenne. Il y a donc bien des pays – et non des moindres – dont l’État finance plus l’enseignement supérieur.
La baisse relative de l’investissement public est la conséquence du succès des établissements privés. Ils ne cessent d’attirer toujours plus d’étudiants. Selon les services statistiques du ministère de l’éducation nationale, les inscriptions dans le privé ont doublé depuis 1998 tandis qu’elles n’ont augmenté que de 17 % dans le public. Résultat, la part des frais d’inscription dans les dépenses d’enseignement supérieur augmente quasiment tous les ans pour avoisiner aujourd’hui les 10 %. Une dépense qui repose donc sur les étudiants et leurs parents.
Sous‐investissement à l’université, succès du privé
« Depuis 10 ans, on n’investit plus assez dans le public. Les étudiants préfèrent se tourner vers le privé pour étudier dans de bonnes conditions, plutôt que d’aller dans des licences à l’université qui sont très mal encadrées », observe Élise Huillery, professeur d’économie à Paris‐Dauphine. Elle est la rédactrice, avec Gabrielle Fack, d’une note du Conseil d’analyse économique (CAE) intitulée « Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace ».
Quand 9 enseignants‐chercheurs encadrent 100 étudiants dans les écoles d’ingénieur, par exemple, ils ne sont que 3,5 pour 100 étudiants en licence à l’université. Cette différence d’encadrement expliquerait, avec le volume d’heures de cours, l’essentiel des écarts d’investissement entre les filières.
Le coût moyen d’une année s’élève ainsi à 3 730 euros en licence contre 8 271 en école de commerce et 10 848 en école d’ingénieur, selon l’estimation d’une autre note du CAE. Reste que toutes les formations dispensées dans des établissements publics ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines figurent même parmi les plus coûteuses. C’est le cas des classes préparatoires aux grandes écoles (13 400 euros), des BTS (12 372) et des DUT (9 747). Quoi qu’il en soit, l’université apparaît bien comme le parent pauvre de l’enseignement supérieur français.
Le niveau d’investissement, clé de la réussite ?
Seuls 40,70 % des étudiants ayant entamé une licence en France finissent diplômés à l’issue des 3 ans, selon les chiffres les plus récents de l’OCDE. À titre de comparaison, en Grande‐Bretagne, ils sont 71,79 % à obtenir le diplôme. Ce faible taux de réussite est‐il la conséquence d’un investissement trop faible ?
À voir les résultats des filières courtes (DUT et BTS), on pourrait le penser : 61 % des étudiants obtiennent leur diplôme comme prévu en deux ans. Mais dans les DUT, qui dépendent pourtant des universités, les étudiants sont encadrés par 8,9 enseignants en moyenne, soit deux fois plus qu’en licence.
La solution ? « Un investissement supplémentaire est nécessaire, de l’ordre de 5 100 euros pour les licences et de 4 300 euros pour les masters, afin de proposer des formations d’une qualité au moins égale à celle des DUT », préconise la note du Conseil d’Analyse économique.
En tout, ses autrices recommandent un investissement supplémentaire dans l’enseignement supérieur de 7,5 milliards d’euros par an pour résoudre ces distorsions. « Ce n’est pas un montant faramineux quand on sait qu’à terme l’investissement dans l’éducation est rentabilisé, souligne l’économiste Élise Huillery. Après, ce sont des choix politiques. »
Dépenses d’éducation : les sources et leurs limites
- Le Compte de l’Éducation. Ellaboré sous sous la responsabilité de l’Insee, il mesure l’effort monétaire que la collectivité nationale consacre au système éducatif. C’est la référence. Mais isoler les données correspondant uniquement à l’enseignement supérieur de celles concernant l’enseignement primaire et secondaire n’est pas possible tout le temps.
- L’OCDE, chaque année, publie Regards sur l’éducation. Ce rapport évalue la situation de l’éducation dans les pays de l’OCDE. Mais attention ! Les statistiques qui concernent le supérieur intègrent parfois les dépenses de Recherche et Développement.