Héritage : «« »Au‐delà de 12 millions d’euros , je prends tout »
Jean‐Luc Mélenchon met en avant une mesure spectaculaire visant les héritages des 0,1 % de « super riches ». Mais cette proposition pourrait‐elle passer le Conseil constitutionnel ? Et rapporterait‐elle vraiment 10 milliards d’euros ?
En résumé
- Un taux d’imposition de 100 % risque d’être rejeté par le Conseil constitutionnel
- La jurisprudence des Sages se fonde sur l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui pose le principe de l’égalité devant l’impôt
- Une décision de 2005 indique qu’un niveau d’imposition « confiscatoire » serait contraire à ce principe
- Le Conseil constitutionnel a depuis rejeté des projets de taxes instaurant des taux de prélèvement de 70 à 75 %
- Dire que la mesure rapportera 10 milliards d’euros est faux
Ils sont peu nombreux à le payer et pourtant, c’est l’impôt le moins aimé des Français : la fiscalité sur l’héritage s’est invitée dans la campagne présidentielle. Plusieurs candidats ont déjà proposé leur mesure pour réformer un système jugé injuste pour des raisons différentes. A droite, on prône son allègement pour le plus grand nombre. La candidate Les Républicains, Valérie Pécresse propose ainsi une défiscalisation des droits de succession jusqu’à 200 000 euros par enfant.
A gauche, c’est la nécessité de frapper les plus hautes successions qui est mise en avant. Au jeu du plus gros taux d’imposition, Jean‐Luc Mélenchon se distingue en proposant de taxer à 100 % les droits de succession supérieurs à 12 millions d’euros. « Au‐delà, je prends tout », a‑t‐il asséné à plusieurs reprises lors d’interventions publiques ou médiatiques.
Comment Mélenchon justifie‐t‐il sa mesure ?
Le candidat de la France insoumise dénonce le système de taxation actuel qu’il juge très inégalitaire. « Aujourd’hui, l’héritage est devenu le principal facteur de reproduction de la domination de classe », estime‐t‐il sur son blog. Il n’est pas le seul à dresser un tel constat même si les mots ne sont pas les mêmes.
Dans un rapport intitulé « Repenser l’héritage », publié en décembre, le Conseil d’analyse économique (CAE) documente un « retour de l’héritage » dans la société française. Il relève que « la part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente désormais 60 % contre 35 % au début des années 1970 ». Cela « augure une dynamique négative de renforcement des inégalités patrimoniales fondées sur la naissance », observe cette instance de chercheurs indépendants qui conseille le premier ministre.
Ainsi, selon le calcul des économistes du CAE, 50 % des Français héritent de moins de 70 000 euros tout au long de leur vie. « Et parmi ceux‐là, une large fraction n’aura hérité d’aucun patrimoine », souligne la note. Seuls 10 % d’entre-eux héritent de plus de 500 000 euros. Et à peine 1 % reçoivent plus de 4,2 millions d’euros. Enfin, tout au sommet de la pyramide, les derniers 0,1% touchent environ 13 millions d’euros en moyenne. C’est 180 fois l’héritage médian qui sépare les héritiers en deux groupes égaux.
Pour autant, ces chiffres restent approximatifs. « Il manque énormément de données pour évaluer la réalité des taxes sur la succession. On est incapable de dire qui paie quoi, regrette Nicolas Frémeaux, maître de conférences en économie à l’Université Panthéon Assas à Paris et auteur du livre Les nouveaux héritiers. « On ne peut faire que des estimations à partir de chiffres qui sont peu représentatifs. Il y a ceux du ministère de l’économie, mais qui datent de 2010, et ceux de l’Insee qui se basent sur des déclarations. Or on sait que les gens ont tendance à sous‐estimer leur patrimoine ».
Une nouvelle taxe qui vise les ultra riches
En l’état, l’impôt sur l’héritage repose sur un barème de droits de succession qui tient compte du montant de la succession (les biens hérités) et du rang de l’héritier par rapport au défunt. Il distingue deux catégories de bénéficiaires. D’une part, les héritiers en ligne directe (père, mère, fils, fille), qui sont les moins taxés, notamment si le montant de l’héritage est bas. D’autre part, les « indirects » (cousin, oncle, tante etc.). Pour eux, un taux unique de 55 % est appliqué quel que soit le montant de la succession.
Ce barème prévoit en revanche pour les héritiers directs des tranches progressives, comme pour l’impôt sur le revenu. Le taux de départ est de 5 % pour les héritages de moins de 8 072 euros, puis 10 % pour les montants inférieurs à 12 109 euros, etc., jusqu’à la dernière tranche de 45 % qui concerne les patrimoines de plus de 1 805 677 euros.
En réalité, ces taux ne sont que très rarement appliqués. La méthode de calcul – qui divise le total de l’héritage par le nombre d’enfants – et les différentes niches fiscales (assurance‐vie, transmission d’entreprises familiales…) permettent à une très large partie des Français de ne payer aucun impôt sur les successions. Soit, « selon les estimations, entre 80 % et 90 % de la population », précise Nicolas Frémeaux.
Néanmoins, une chose est sûre : une toute petite fraction de privilégiés hérite de la plus grosse part du gâteau. C’est sur ces personnes – autour de 0,1 % des héritiers chaque année, si l’on se base sur l’estimation du CAE – que se concentre la mesure de Jean‐Luc Mélenchon. Le candidat LFI souhaite ajouter une nouvelle tranche d’imposition, à partir de 12 millions d’euros, avec une taxation à 100 %, qui, indique‐t‐il, devrait rapporter autour de 10 milliards d’euros. Une présentation pour le moins trompeuse (voir encadré ci‐dessous).
« Cet argent, qui sera pris, représente l’équivalent de ce que coûtera une autre mesure de mon programme, qui est que chaque étudiant reçoive une allocation d’autonomie égale à 1063 euros », a‑t‐il précisé dans l’émission Le Grand Jury diffusée sur RTL le 9 janvier dernier. D’après les juristes et les économistes interrogés par Veracités, elle devrait toutefois avoir beaucoup de mal à passer le cap du Conseil constitutionnel.
Une mesure probablement « confiscatoire »
En matière de fiscalité, les gardiens de la loi fondamentale s’appuient en effet sur l’article 13 de la déclaration des droits de l’Homme qui dispose que l’impôt est une « une contribution commune indispensable » mais qu’il doit être « également réparti entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Ainsi, il est impossible de faire reposer une part trop élevée des taxes sur une petite partie de la population, quel que soit leur revenu.
Selon une décision du Conseil constitutionnel rendue en 2005 qui fonde toute la jurisprudence de l’institution, l’exigence d’égalité devant l’impôt « ne serait pas [remplie] si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ». Autrement dit : on ne peut pas « tout prendre », comme le souhaite Jean‐Luc Mélenchon.
Les Sages n’ont toutefois jamais précisément fixé les limites du « confiscatoire ». Mais les projets fiscaux qu’ils ont retoqués par le passé en raison de taux jugés trop élevés étaient loin d’atteindre les 100 % du candidat.
François Hollande en a d’ailleurs fait les frais dès le début de son mandat, en 2012, quand le Conseil constitutionnel a censuré trois de ses réformes fiscales. L’ancien président socialiste souhaitait ainsi taxer à 75 % les généreuses retraites‐chapeaux accordées par les entreprises à leur hauts dirigeants. Mais les Sages ont considéré que ce taux était trop élevé en le jugeant « confiscatoire ». Son projet visant à réhausser le prélèvement sur les gains des stock‐options et des actions gratuites autour de 70% subit la même sanction. Tout comme sa tentative de taxer les plus‐values immobilières à 82 %. Toutes ces décisions constituent aujourd’hui une solide jurisprudence.
« Les revirements du Conseil constitutionnel arrivent à la marge et souvent sur des points très techniques. La jurisprudence de 2005 sur l’impôt est claire, cohérente et a été longuement réfléchie. La proposition de Jean‐Luc Mélenchon ne devrait pas tenir deux minutes », assure Martin Collet, professeur agrégé de droit public à l’Université Panthéon Assas. « Un taux de 100 %, c’est absurde !, renchérit Xavier Magnon, professeur de droit public à l’Université d’Aix Marseille. Le caractère excessif de cette taxe sera certainement retenu. Il faut proposer une mesure qui permette d’arriver au même montant d’imposition mais de manière plus subtile. »
C’est d’ailleurs ce que propose le Conseil d’analyse économique dans son rapport. A travers différents scénarios, les experts estiment que « réduire voire éliminer les principales exemptions ou exonérations » permettrait de baisser les taux d’imposition tout en les rendant « réellement progressifs », en particulier concernant les plus hauts héritages. Des réformes qui pourraient rapporter entre 9 et 19 milliards d’euros de plus, suivant les hypothèses.
Quid d’une révision de la Constitution ?
Reste une toute petite échappatoire : « Le Conseil constitutionnel ne s’est jamais penché sur l’héritage, seulement sur le revenu. On peut donc toujours dire que la question n’est pas totalement tranchée », concède Martin Collet. Mais le juriste n’y croit pas vraiment : « Au vu des précédentes décisions, c’est très peu probable », estime‐t‐il. « Nous assumons notre volonté de créer un seuil maximum, c’est un choix politique. Nous utiliserons tous les moyens juridiques nécessaires pour y arriver comme changer le Constitution », rétorque Hadrien Toucel, le coresponsable du programme de Jean‐Luc Mélenchon.
Cette solution de la dernière chance semble, pourtant, encore plus hypothétique. Certes, Jean‐Luc Mélenchon a pour projet de changer la constitution en passant à la VIe République. Mais pour cela, il lui faudra d’abord obtenir l’accord de l’Assemblée et celui du Sénat, qui restera à droite après la présidentielle. Il lui faudra ensuite redéfinir le principe d’égalité devant l’impôt dans la nouvelle Constitution et la faire approuver par référendum ou par un vote à 60 % des deux Chambres réunies en Congrès. Vaste programme !
10 milliards pris aux ultra‐riches ?
C’est plus compliqué
Jean‐Luc Mélenchon le répète en boucle, taxer à 100 % les successions au‐delà de 12 millions d’euros rapporterait 10 milliards d’euros de plus à l’État. La réalité est en fait plus compliquée. Contacté pour connaître l’explication de ce montant, le co‐responsable du programme de La France Insoumise, Hadrien Toucel, renvoie à une des propositions de réforme de la fiscalité sur l’héritage du Conseil d’analyse économique (CAE).
De fait, celle‐ci permet bien d’atteindre un rendement supplémentaire d’environ 10 milliards d’euros. Mais cette augmentation est davantage liée à un élargissement de la l’assiette fiscale – c’est à dire du montant sur lequel est calculé l’impôt – et à une nouvelle politique d’application du barème qu’à une simple hausse des taux. Les ultra‐riches ne sont pas les seuls mis à contribution. De plus, le CAE prévoit bien de faire passer le prélèvement de la 7ème et dernière tranche actuelle de 45 % à 50 %. Mais il n’évoque pas la mesure extrême du candidat LFI.
Combien rapporterait la seule instauration d’une nouvelle tranche à 100 % au delà de 12 millions d’euros ? Il est impossible de le dire. Certainement pas les 10 milliards d’euros de la réforme globale du CAE. Jean‐Luc Mélenchon en est lui‐même conscient puisqu’il décline sur son blog une version tout aussi complète. Reste qu’en mettant en avant sa proposition phare, il entretient la confusion. Et ce alors qu’elle ne suffirait pas à financer l’allocation d’autonomie étudiante qu’il appelle de ses vœux.