«« »Il y a aujourd’hui un tiers de ces réfugiés dits « ukrainiens » qui en fait ne sont pas de nationalité ukrainienne »
Tout récent soutien d’Éric Zemmour, la nièce de Marine Le Pen s’appuie sur un article du Figaro pour affirmer que les réfugiés de la guerre en Ukraine accueillis en France sont pour un tiers non‐ukrainiens. Les décomptes officiels font au contraire état d’une proportion extrêmement minoritaire.
En résumé :
- Selon le dernier relevé de la Police aux Frontières, seuls 2,5 % de réfugiés venant d’Ukraine ne sont pas ukrainiens.
- Les chiffres avancés par Le Figaro concerneraient le tout début du conflit quand le flux des arrivées était très faible.
- Le statut de « protection temporaire » est accordé uniquement aux non‐ukrainiens qui peuvent justifier d’un titre de séjour en Ukraine au moment du déclenchement du conflit.
Soutien d’Éric Zemmour de la dernière heure, Marion Maréchal s’aligne sur ses positions hostiles à l’accueil de réfugiés ukrainiens. Avec toutefois un angle d’attaque particulier. « Il y a aujourd’hui et manifestement sur les 5 000 arrivées depuis le 25 février qui ont été recensées de l’Ukraine, un tiers de ces réfugiés dits « ukrainiens » qui en fait ne sont pas de nationalité ukrainienne et dont une majorité semble‐t‐il, en tout cas beaucoup, sont algériens, marocains… et arrivent d’Ukraine », a‑t‐elle dénoncé, le 10 mars sur CNews.
« Vos confrères du Figaro ont révélé qu’un réfugié sur trois arrivant d’#Ukraine n’est pas de nationalité ukrainienne mais d’Algérie, du Maroc, etc. Ils profitent du couloir humanitaire pour entrer dans Schengen. » #LaMatinale pic.twitter.com/Ib7WbSU2jV
— Marion Maréchal (@MarionMarechal) March 10, 2022
À l’appui de ses affirmations, l’ex-députée RN cite un article du Figaro du 8 mars, évoquant parmi les réfugiés arrivés en France depuis l’Ukraine, « plus de 7,5 % d’Algériens, 3,5 % d’Ivoiriens, 3,5 % de Marocains, 2,5 % d’Indiens, 2,5 % de Kirghizes, 2 % de Congolais, 1,5 % de Camerounais, 1 % de Pakistanais, mais aussi des Nigériens, des Chinois, des Guinéens, des Angolais ». L’article n’indique toutefois pas la source de ces données.
Combien de réfugiés d’Ukraine sont arrivés en France ?
Contacté par Mediacités, le ministère de l’Intérieur ne confirme pas de tels chiffres. Bien au contraire. Ainsi, au 14 mars, selon les remontées de la direction centrale de la Police aux frontières (DCPAF), 14 631 personnes venant d’Ukraine ont été contrôlées sur le territoire français depuis le 25 février et le début du conflit. Parmi elles, 14 275 étaient des ressortissants ukrainiens, soit 97,5 %. Les réfugiés non‐ukrainiens représentaient donc 2,5 % des personnes accueillies en France, très loin du tiers annoncé par le Figaro.
Le nombre de réfugiés ukrainiens recensés en France est par ailleurs très faible au regard des 3 millions de personnes ayant fui l’Ukraine depuis le début du conflit, selon le dernier décompte de l’Agence des Nations Unies aux Réfugiés (UNHCR). D’autant que parmi les personnes accueillies en France, bon nombre sont en réalité en transit. « Beaucoup de personnes passent par la France mais vont en Espagne ou au Portugal où les communautés ukrainiennes sont bien plus représentées qu’en France. Les gens vont là où ils ont des attaches », indique Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).
À quoi correspondent les chiffres du Figaro ?
Au moment de la publication de l’article, ce « tiers de réfugiés non‐ukrainien » a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux. Spécialiste des migrations et des minorités, le journaliste de l’AFP Shahzad Abdul indiquait avoir eu accès aux mêmes chiffres que Le Figaro. Il affirmait cependant ne pas les avoir repris car étant « trompeurs ». Il s’agirait, selon lui, de données imprécises qui ne concerneraient que l’Île-de-France.
Le chiffre qui a circulé d’un « réfugié » sur trois qui n’est pas Ukrainien était doublement trompeur (pour euphémiser): d’abord parce qu’il partait de constats empiriques et donc imprécis, et surtout parce que ces constats, qu’on m’a rapportés aussi, ne concernent que l’IDF
— Shahzad Abdul (@abdulshaz) March 9, 2022
D’après Didier Leschi, le chiffre mis en avant par le quotidien a « pu éventuellement être bon », mais très temporairement, au tout début du conflit. « Dans les tout premiers jours, il y avait plus de personnes non‐ukrainiennes que de personnes ukrainiennes qui restaient, elles, dans les pays frontaliers proches de leurs familles encore sur place, explique‐t‐il. Au fur et à mesure, le pourcentage de personnes non‐ukrainiennes a totalement diminué car les Ukrainiens ont commencé à chercher refuge ailleurs qu’à la frontière. »
Parmi les non‐ukrainiens contraints de fuir le pays et qui ont été pris en charge en France, beaucoup sont étudiants. « On sait qu’il y avait plusieurs milliers d’étudiants algériens et marocains », affirme le directeur général de l’OFII. Les liens entre l’Ukraine et l’Algérie datent de l’URSS. Encore aujourd’hui, les échanges continuent, et une place particulière est offerte aux Algériens souhaitant étudier en Ukraine. « Ce n’est pas anormal que dans ce cas les étudiants maghrébins se tournent vers la France au vu des liens historiques », conclut Didier Leschi.
Les réfugiés non‐Ukrainiens ont‐ils droit à la « protection temporaire » de l’UE ?
Le 3 mars 2022, le Conseil européen a décidé d’activer la directive européenne relative à la « protection temporaire » pour la première fois depuis sa création. Approuvé en 2001, le texte est destiné à être appliqué au sein de l’Union européenne (UE) en cas de conflit armé déclenchant un afflux massif de réfugiés. Il permet notamment aux États membres de mieux s’organiser pour l’accueil des personnes déplacées et de partager la solidarité. Mis en place pour une année, le dispositif peut être prolongé pendant 2 ans.
Cette « protection temporaire » de l’UE s’accompagne d’une autorisation temporaire de séjour de six mois renouvelables et dispense les bénéficiaires de faire une demande d’asile. Elle est accordée à tous les ressortissants ukrainiens ainsi qu’aux résidents étrangers en Ukraine pouvant justifier d’un titre de séjour. Ce statut leur permet de résider, travailler, trouver un logement, toucher l’aide sociale, être soignés et accéder à l’éducation.
D’après Le Monde, une instruction gouvernementale du 10 mars précise toutefois que sont exclus de cette protection « les ressortissants de pays tiers qui sont en mesure de regagner leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables ». « Cette dernière disposition risque d’exclure nombre d’étudiants étrangers, dont beaucoup proviennent du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest », estime le quotidien du soir.
Les personnes se voyant refuser la « protection temporaire » peuvent cependant demander l’asile dans le pays d’accueil. Mais la démarche peut prendre plusieurs mois.
Le 28 février sur RTL, Éric Zemmour assumait d’être le seul candidat à refuser totalement les réfugiés ukrainiens. Face aux vives critiques, il a cependant dû assouplir quelque peu cette ligne. Lors de son meeting à Toulon, le 6 mars, marqué par l’officialisation du soutien de Marion Maréchal, le candidat a indiqué que s’il devenait président, il accorderait un visa aux Ukrainiens, de « vrais réfugiés ». Mais à la condition qu’ils aient des attaches en France et soient francophones. Des critères qui mettraient la France hors la loi de l’UE sur la protection temporaire.