«« »Je veux des circonstances aggravantes quand un crime ou délit est commis dans un quartier de reconquête républicaine pour durcir les sanctions »
Peut‐on punir plus sévèrement les auteurs de crimes ou de délits commis dans zones géographiques définies par l’État ? La candidate LR à la présidentielle en est persuadée. Les juristes, beaucoup moins. Pourtant une forme de territorialisation des peines existe déjà dans les faits.
« Il faut venir à bout de la concentration des crimes et délits aux mêmes endroits. » Placée au cœur du programme sécuritaire de Valérie Pécresse, cette promesse a été détaillée par la candidate LR au lendemain de son investiture au congrès Les Républicains. Sa cible ? Les « 62 zones de reconquête républicaine définies par le gouvernement, a‑t‐elle expliqué sur RTL le 6 décembre 2021 (…) Ce sont des zones dans lesquelles il y a des check‐point pour rentrer dedans. (…) Moi je veux des brigades « coup de poing ». Je veux aussi que l’armée puisse venir sécuriser ces quartiers quand on ira démanteler ces réseaux ».
Des propositions chocs dont l’une surtout a suscité la polémique : « Je veux que pour les peines prononcées dans ces quartiers, il y ait des circonstances aggravantes, a‑t‐elle en effet indiqué. On y met 30 % de plus de policiers, aujourd’hui on doit y mettre plus de sanctions. »
Ce n’est pas la première fois que la candidate LR évoque une telle « territorialisation des peines ». Elle l’a proposé en fait dès 2018, quand le gouvernement a défini les premiers quartiers de reconquête républicaine, aujourd’hui au nombre de 70, d’après la Direction centrale de la sécurité publique. Une idée directement inspirée par le Danemark qui avait mis en place à la même époque un durcissement des peines dans les quartiers définis comme des « ghettos », en se basant notamment sur des critères ethniques.
À ce moment‐là, Valérie Pécresse reconnaissait que sa proposition n’était pas réellement constitutionnelle, mais estimait qu’on « pourrait la rendre constitutionnelle en disant que c’est une circonstance aggravante ». Trois ans plus tard, tous les doutes ont disparu : sa proposition est « totalement constitutionnelle », assure‐t‐elle. Sauf que les juristes interrogés par Veracités en sont beaucoup moins convaincus.
L’obstacle du principe d’égalité
« Je ne vois pas comment on pourrait appliquer des peines différentes pour la même infraction simplement parce qu’elle est commise dans un lieu différent, réagit par exemple le constitutionnaliste Didier Maus. Ce serait une rupture du principe d’égalité. » Ce dernier est inscrit dans la constitution. Selon l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».
Le principe d’égalité vise à garantir l’absence de toute discrimination, par ailleurs punie par la loi. L’article 225–1 du Code Pénal est très clair à ce sujet : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, […] ». « Je considère que dans l’état actuel, tel que c’est présenté, la mesure est inconstitutionnelle. Il faudrait que l’on révise la constitution mais je pense que ça ne passera pas », estime Didier Maus.
Des « circonstances aggravantes » inapplicables
Déterminée, Valérie Pécresse entend contourner l’obstacle en introduisant la notion de « circonstance aggravante » pour les crimes ou les délits commis dans les quartiers de reconquête républicaine. Mais, là encore, sans convaincre les juristes.
« Pour qu’une circonstance puisse être considérée comme “aggravante”, il faudrait qu’elle ait un lien, non pas avec le territoire dans lequel l’acte est commis, mais avec l’auteur même du fait », rétorque auprès de Public Sénat Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l’Université Panthéon‐Assas Paris II. C’est par exemple le cas lorsqu’un meurtre féminicide est produit par un conjoint, concubin ou partenaire lié par un acte civil.
Il existe toutefois des lieux où les circonstances aggravantes sont reconnues, comme dans les transports en commun ou dans les écoles. Mais celles‐ci « doivent pouvoir être objectivement déterminées, conteste Jean‐Philippe Derosier, professeur en droit public à l’Université de Lille, interrogé par La Montagne. Les zones auxquelles Valérie Pécresse fait référence sont des secteurs déterminés par des mesures gouvernementales. Cela voudrait dire qu’à tout instant, le gouvernement peut décider de changer l’importance d’une sanction pénale comme il le souhaite (…) Ce serait confier au gouvernement un pouvoir qui contrevient aux principes les plus élémentaires du droit pénal ».
« Dans une gare ou dans une école, le principe d’égalité s’applique car ce sont des lieux spécifiques présents sur tout le territoire national. Un lieu géographique précis ne peut pas être considéré comme une circonstance aggravante », abonde Virginie Peltier, professeure en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Bordeaux.
« Dans les faits, le principe d’égalité est parfois rompu selon un critère géographique pour l’obtention de prestations sociales, complète Didier Maus. Mais c’est dans un but social et positif, pas pour des sanctions. »
Une remise en cause de l’individualisation des peines
La proposition de Valérie Pécresse irait également contre le principe d’individualisation des peines, fondamental en droit pénal. L’article 132–1 du Code pénal est sans ambiguïté à ce sujet : « Toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée ». Au moment de prononcer une sanction, les juges prennent en compte les circonstances de l’infraction, la personnalité de l’auteur ou encore la récidive. « Cela reviendrait à dire qu’un primo‐délinquant dans un quartier de reconquête républicaine encourrait plus qu’un récidiviste qui commet un crime partout ailleurs, pointe Virginie Peltier. Il faut laisser les magistrats personnaliser les peines. »
La justice a déjà des outils pour s’adapter localement
« J’attache une grande attention aux actions permettant de consolider la cohésion républicaine. Il est essentiel de ne laisser aucun territoire de la République en dehors de l’État de droit, appelait la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, dans une circulaire de politique pénale de 2018. Les habitants de certains quartiers de grandes agglomérations comme parfois de plus petites villes, confrontés à une délinquance qui altère profondément le lien social et qui met en jeu leur sécurité, doivent pouvoir faire valoir leurs droits et accéder à la justice. »
Depuis 1997, les procureurs de la République ont la possibilité de créer des Groupes locaux de traitement de la délinquance dont l’objectif est de cibler les crimes et les délits de quartiers particulièrement touchés. Dans sa circulaire, la ministre demandait aux magistrats de porter une attention particulière à ces dispositifs « en particulier dans les quartiers de reconquête républicaine ». Les instructions données aux parquets peuvent ainsi les conduire à adapter leurs réquisitions dans des situations locales. Mais « la politique pénale se sert d’instruments valables partout sur le territoire, prévient Virginie Peltier. Elle donne des outils aux magistrats mais toujours dans la limite de la peine maximale encourue ».
En pratique, la territorialisation des peines existe déjà
« Valérie Pécresse ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes car il existe déjà, de fait, une territorialisation des peines », relève pour sa part Etienne Cahu, géographe auteur d’une thèse sur l’inégalité territoriale face à la justice pénale. Suivant les juridictions, le nombre d’affaires traitées n’est pas le même. Face à un afflux trop important, certains tribunaux sont amenés à délaisser les plus petites infractions. Ainsi, à Bobigny, tribunal qui enregistre le plus de plaintes après Paris, le nombre d’affaires classées sans suite a été supérieur de 17 % à la moyenne nationale entre 2000 et 2010, selon un calcul du géographe.
La thèse d’Étienne Cahu réfute pourtant tout laxisme des magistrats. Au contraire, son travail démontre qu’en général, les peines sont bien plus sévères dans les juridictions les plus chargées. « Pour corriger l’incapacité des systèmes à poursuivre tous ceux qui le mériteraient et montrer que la République est toujours là, on va taper plus fort, souligne‐t‐il. Ainsi, on ne va garder que les “gros poissons” et ces “gros poissons” vont être jugés plus sévèrement, pour la même infraction, que ceux d’une autre juridiction. »
Pour le géographe, la situation est donc doublement préjudiciable : selon lui, il existe des « inégalités qui deviennent des injustices car elles touchent les personnes les plus précarisées et ce, sans donner de moyens conséquents de prévention de la délinquance dans les espaces qu’elles habitent. »
En résumé
Il apparaît donc comme inconstitutionnel d’inscrire dans la loi, comme souhaite le faire Valérie Pécresse, une différenciation des peines selon des critères géographiques. D’autant plus quand ces derniers sont définis directement par le gouvernement au pouvoir. Une telle mesure, énoncée ainsi, romprait le principe d’égalité qui a valeur constitutionnelle depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.