«« »Jean‐Luc Mélenchon a été un soutien aux positions de Poutine »
A l’instar de nombreuses personnalités, la candidate socialiste à la présidence a accusé son rival insoumis de s’être aligné sur la diplomatie du président russe. Jean‐Luc Mélenchon rétorque que ses propos sont souvent caricaturés. L’occasion de revenir sur ses déclarations lors de trois conflits, en Crimée, en Syrie et en Ukraine.
En résumé :
- En Crimée, en Syrie et jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, Jean‐Luc Mélenchon a soutenu les mêmes analyses que Vladimir Poutine.
- Depuis l’invasion de l’Ukraine, il a clairement condamné l’agression russe et pris ses distances avec le maître du Kremlin.
- Le pacifisme et le non‐alignement sont les constantes de son positionnement international. Tout comme sa défiance à l’égard des Etats‐Unis et de l’Otan.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, Jean‐Luc Mélenchon est la cible de critiques sur ses positions envers la Russie. L’insoumis est accusé, en particulier par ses rivaux de gauche, de complaisance avec le régime de Vladimir Poutine.
Le 28 février dernier, Anne Hidalgo a tiré à boulets rouges sur le candidat de la France insoumise : « Jean‐Luc Mélenchon est devenu l’allié et le soutien de Vladimir Poutine », a‑t‐elle dénoncé. Trois jours plus tard, rebelote sur LCI : « Je suis scandalisée par les propos de Jean‐Luc Mélenchon, parce qu’il a eu plus que de la complaisance, il a été un soutien des positions de Poutine. Les agresseurs c’étaient l’Europe, c’était l’Otan, et il continue à le dire. »
L’écologiste Yannick Jadot n’est pas en reste. Le 7 mars, par exemple, il a critiqué la « capitulation » de Jean‐Luc Mélenchon « face à une dictature de Vladimir Poutine » qui serait liée à « un délire anti‐américain ».
« Je demande qu’on respecte notre position. Je demande qu’on cesse les caricatures, s’est défendu Jean‐Luc Mélenchon, lors d’un meeting à La Réunion. Peut‐être que mon point de vue n’est pas le bon, mais discutez‐le comme il est, et non pas comme vous voudriez qu’il soit ! »
Justement, qu’en est‐il ? Jean‐Luc Mélenchon est‐il « pro‐poutine » comme l’affirment haut et fort ses concurrents ? Véracités 2022 s’est plongé dans les déclarations du candidat prononcées à l’occasion de trois conflits impliquant la Russie (l’annexion de la Crimée, l’intervention militaire Russe en Syrie et l’invasion de l’Ukraine) et en demandant à quatre spécialistes de les décrypter.
Syrie :
« Il va régler le problème [c’est-à-dire] éliminer Daech »
Cette citation est tirée d’un extrait à retrouver en intégralité ici.
Le 20 février 2016, dans l’émission On est pas couché sur France 2, le candidat fait polémique en justifiant l’intervention russe en cours en Syrie depuis septembre 2015. Celle‐ci fait suite à une demande du président syrien Bachar Al‐Assad. Officiellement, l’objectif est de combattre Daech qui gagne du terrain au nord du territoire. Dans les faits, l’aviation russe bombarde aussi Alep, la deuxième ville du pays, afin de mater la rébellion qui résiste au régime depuis 2012. Mais le Kremlin nie cibler des civils.
Jean‐Luc Mélenchon n’a toutefois aucune critique à adresser à Vladimir Poutine. Au contraire. « Il va régler le problème [c’est-à-dire] éliminer Daech », affirme‐t‐il lors de cette émission. Une déclaration qui ne résume pas toute sa pensée sur le conflit mais qui lui sera beaucoup reprochée comme étant la preuve de son soutien au président russe.
Pour le géopolitologue et professeur à Sciences po Paris, Frédéric Encel, l’argument de l’alliance contre Daech ne tient pas la route : « On sait que ni la Russie, ni Bachar Al‐Assad n’ont réellement combattu Daech. Ils se sont surtout concentrés à détruire l’opposition et les alternatives au régime syrien qui se trouvaient entre les forces loyalistes et Daech ».
Ce n’est pas du tout l’avis de Jean‐Luc Mélenchon. Lors de l’émission de France 2, il conteste le bombardement délibéré des populations d’Alep par la Russie. « Non […] ce que vous dites ne correspond pas aux faits, je ne vais pas dire que je suis d’accord. […] Vous partez de la propagande nord‐américaine », rétorque‐t‐il aux journalistes qui l’interrogent sur ce point.
Ces crimes ont pourtant été largement documentés par des ONG et des journalistes. « Il a vraiment dit ça ? », s’étonne même Fabrice Balanche, spécialiste de la géographie politique du Proche‐Orient et bon connaisseur du conflit syrien. « D’abord, les Russes bombardent les installations militaires en demandant aux civils de partir. Si ça ne suffit pas, ils bombardent les infrastructures civiles, les hôpitaux, les marchés, les centrales électriques. Et si ça ne suffit toujours pas, ils bombardent à l’aveugle. C’est comme ça que la ville d’Alep a été reprise ».
Dans la même émission, le candidat insoumis détaille sa pensée et la nuance. Il assure, par exemple, qu’il ne faut pas « laisser Vladimir Poutine régler cette guerre », proposant que ce soit l’ONU qui s’en occupe. Il dénonce aussi des « bombardements qui massacrent tout le monde » estimant que « cette pauvre population est prise dans une guerre qui ne les concerne même pas. C’est une guerre d’oléoducs et de gazoducs ».
Jean‐Luc Mélenchon se revendique comme un « non‐aligné » sur ce conflit. Une position qu’il justifie : « Je n’accepte pas le Disneyland politique, les très gentils là, les très méchants là. Tout le monde est méchant dans cette histoire. Tout le monde n’a que des intérêts, donc nous nous occupons de ce qui peut d’abord nous concerner, nous Français. Notre intérêt, c’est que la guerre s’arrête, vite, vite, vite. »
Selon Jean‐Luc Mélenchon, pour arriver à la paix, il faut éliminer l’organisation Etat islamique (EI) grâce à une « une coalition universelle ». « Il faut donc s’allier avec les Russes et discuter avec eux et pas que chacun bombarde comme il a envie de le faire ». En clair, la première des priorités n’est pas le massacre des populations par le régime syrien, mais la lutte contre l’EI.
Crimée :
« Poutine avait‐il le choix ? Pouvait‐il accepter une avancée de l’OTAN »
Deux ans plus tôt, Jean‐Luc Mélenchon avait déjà fait polémique, cette fois lors de l’invasion de la Crimée par la Russie, en mars 2014. Alors que l’Union européenne condamne unanimement cette annexion au détriment de l’Ukraine, le candidat, lui, s’en réjouit sur son blog : « Bien sûr la Crimée est « perdue » pour l’Otan ! Bonne nouvelle ! Il faut espérer que, du coup, la bande de provocateurs et d’agités qui dirigent la manœuvre va se calmer quelque temps. »
Comme plus tard en Syrie, Jean‐Luc Mélenchon ne formule aucune critique à l’encontre du président russe. Il ne voit dans l’annexion de la péninsule que de l’opportunisme. « Poutine a profité habilement d’une politique aventurière et irresponsable provoquée par les autorités de fait ukrainiennes ». Et présente l’intervention militaire comme une opération de légitime défense.
« Avait‐il le choix ? Pouvait‐il accepter une avancée de l’Otan en Crimée, sa grande base navale sur la mer Noire, trajet du gazoduc qui contourne l’incontrôlable Ukraine ? s’interroge-t-il sur son blog, le 25 février 2014. Non, bien sûr, et aucune personne informée ne peut soutenir le contraire ».
Veracités a soumis ces déclarations à deux spécialistes des relations internationales. Tous contredisent Jean‐Luc Mélenchon : « Si les Ukrainiens ont bien demandé, un temps, à rentrer dans l’Otan, le dossier n’a jamais été ouvert et est, encore aujourd’hui, au point mort », explique le géopolitologue Frédéric Encel.
« Factuellement, on ne peut pas dire qu’il y a eu de rapprochement militaire en Crimée. Il est cependant vrai que les Etats‐Unis ont avancé certaines de leurs bases, mais uniquement dans les pays déjà membres de l’Otan », nuance Joséphine Staron, docteure en philosophie politique et directrice des études et des relations internationales chez le Think Tank Synopia.
Reste que depuis 1949, l’alliance atlantique s’est bien élargie vers l’est, passant de 12 à 30 membres : la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie ou encore la Slovénie ont rejoint l’Otan dans les années 2000. « Mais il ne faut pas oublier que ce sont ces pays, anciens satellites de l’Union soviétique, qui ont souhaité rejoindre l’Otan », rappelle Anne de Tinguy.
Les propos de Jean‐Luc Mélenchon après l’annexion semblent toutefois contredire ce qu’il disait avant celle‐ci. Le 5 mars 2014, le futur leader des insoumis estimait encore sur son blog que les Russes « n’ont rien à faire hors de leurs bases en Crimée ». « A l’heure actuelle, l’enjeu numéro un est d’éviter la guerre. Cela signifie empêcher par‐dessus tout la partition du pays : on ne touche pas aux frontières en Europe ! Ni ici, ni nulle part », insistait‐il.
La position de principe semble donc s’être effacée devant le fait accompli. Une fois la partition de l’Ukraine réalisée, Jean‐Mélenchon n’a pas un mot pour la condamner. Dans le même billet de blog du 5 mars 2014, il tenait toutefois à « préciser noir sur blanc sa position » afin que « les esprits avancés des salles de rédaction puissent comprendre ». « Mes lignes ici seront un panneau de signalisation pour les Mickey de la sphère médiatique. Allons‑y : je ne soutiens pas Poutine. Ni les autorités de fait de l’Ukraine actuelles. » « Mon seul camp est celui de la paix contre la guerre ».
Ukraine avant l’invasion :
« Les Russes se mobilisent à leurs frontières ? Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil »
Si Jean‐Luc Mélenchon ne soutient pas l’homme Poutine, il soutient ses positions. Mais il y a clairement un avant et un après invasion. Le 18 janvier, dans une interview au journal Le Monde, le député des Bouches‐du‐Rhône justifie les importants mouvements de troupes russes à la frontière ukrainienne.
« Les Russes mobilisent à leurs frontières ? Qui ne ferait pas la même chose avec un voisin pareil, un pays lié à une puissance qui les menace continuellement ? On continue les vieilles méthodes de la guerre froide. Or, la politique antirusse n’est pas dans notre intérêt, elle est dangereuse et absurde. Le maître‐mot est la désescalade. »
Le 30 janvier, sur France 5, il affirme que « la menace n’existe pas selon les Ukrainiens eux‐mêmes ». Deux jours plus tôt, lors d’une conférence de presse, le président ukrainien Volodymyr Zelensky déclarait pourtant « ne pas voir d’escalade supérieure à celle qui existait » mais que « la probabilité de l’attaque existe, elle n’a pas disparu ».
Pour le candidat insoumis, l’arrivée de l’armée russe aux portes de l’Ukraine n’est qu’une réponse à la menace américaine. « Les Etats‐Unis d’Amérique ont décidé d’annexer dans l’Otan l’Ukraine, et la Russie se sent humiliée, menacée, agressée », insistait‐il sur France 2, le 10 février. Mais il s’agit là – répétons‐le – d’une analyse qui est contestée par tous les experts que nous avons interrogés.
« C’est typiquement le discours russe, analyse Anne de Tinguy, chercheuse au CERI – Sciences po et professeur émérite à l’Inalco. Il est faux de dire que l’Otan souhaitait intégrer l’Ukraine. Il n’y a jamais eu de consensus au sein de l’Alliance atlantique sur cette question ».
Le 7 février, le candidat insoumis développe son propos sur son blog en mettant en avant, une fois de plus, sa position de non‐aligné : « Son intérêt [celui de la France] est que ni les Russes ni les Américains ne s’approprient l’Ukraine. Est‐ce clair ? Non ? Je précise alors : à mes yeux, les Russes ne doivent pas passer la frontière. Et les USA ne doivent pas annexer l’Ukraine dans l’Otan. Voilà le but. Donc pas de surenchères dangereuses. »
Ukraine depuis l’invasion :
« Je suis du côté de monsieur Zelensky contre monsieur Poutine »
Le 24 février, la Russie envahit l’Ukraine. Jean‐Luc Mélenchon apprend la nouvelle à sa descente d’avion à la Réunion. Lui qui démentait tout risque d’attaque imminente est contraint de reconnaître « une erreur ». Mais il en rejette la faute sur Emmanuel Macron, pris de court alors qu’il pensait avoir arraché des négociations de paix. « Je me suis référé à ce que disaient les plus hautes autorités de mon pays et j’ai eu tort de les croire ! »
Quoi qu’il en soit, le communiqué de presse publié le jour même est sans équivoque. « L’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie est un acte de guerre extrêmement grave que nous condamnons avec la plus grande fermeté, est‐il écrit. C’est une violation inacceptable des principes du droit international dont Vladimir Poutine porte la responsabilité et qui fait peser le risque d’une guerre généralisée sur le continent. »
Cette fois, plus question de renvoyer les deux camps dos à dos. Cela n’évite pas au député des Bouches‐du‐Rhône d’être quand même renvoyé à sa complaisance passée vis‐à‐vis de Vladimir Poutine. Mais son non‐alignement se définit désormais plus clairement contre le maître du Kremlin.
« Non aligné, ne veut pas dire neutre, explique‐t‐il le 20 mars lors de l’émission Questions politiques. Ça ne veut pas dire que je me situe entre monsieur Poutine et monsieur Zelensky. Il est très clair que je suis du côté de monsieur Zelensky contre monsieur Poutine. Dans chaque cas, la France doit pouvoir disposer d’une autonomie de dialogue. Elle doit pouvoir se défendre toute seule, sans dépendre de personnes. Et en particulier, elle ne doit pas, à chaque fois qu’elle arrive dans une discussion être regardé comme un des wagons du train de l’Otan qui est entièrement dirigé par les Etats‐Unis d’Amérique. »
Son absence de neutralité ne va toutefois pas jusqu’à approuver des livraisons d’armes à l’Ukraine, comme il l’a indiqué le 24 mars à l’émission Elysée 2022 sur France 2. Sa solution passe toujours par la tenue d’une conférence sur les frontières dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Une proposition émise pour la première fois en 2016.
Derrière l’évolution de son discours par rapport à Vladimir Poutine, il y a donc toujours la permanence du pacifisme. Mais aussi celle du rejet des Etats‐Unis et de l’Otan, véritable clé des relations de Jean‐Luc Mélenchon avec la Russie. « Il est dans une telle logique anti‐américaine, que tout ceux qui sont contre les Etats‐Unis sont des alliés », analyse Frédéric Encel.
« Il faut lire ça [les positions de Mélenchon] comme une volonté de prendre ses distances avec le bloc occidental dominé par les Etats‐Unis, confirme Jean‐Numa Ducange, historien spécialiste des gauches en France. Mais il est faux de dire qu’il est pro‐Russe. C’est comme si vous disiez que De Gaulle était communiste parce qu’il souhaitait se rapprocher de l’Union soviétique plutôt que de l’Otan. Ça n’a pas de sens. »
L’invasion de l’Ukraine a conduit le leader de la France insoumise à prendre ses distances avec Vladimir Poutine. Mais il a partagé les mêmes analyses que lui dans de nombreuses crises internationales. Une proximité jugée problématique par le journaliste et co‐fondateur de Mediapart, spécialiste de la Russie, François Bonnet, dès décembre 2016, au moment où tombait Alep en Syrie.
« Jean‐Luc Mélenchon a beau dire et redire et répéter qu’il ne soutient pas Vladimir Poutine, il se retrouve tout de même à soutenir les positions de la diplomatie russe et les positions de la stratégie géopolitique russe quasi systématiquement, estimait‐il. Je pense que ça, ça va devenir un gros problème. »