« Si les chiffres des violences aux personnes augmentent, ce sont à 80 % les violences intrafamiliales »
Emmanuel Macron explique la flambée des violences aux personnes durant son quinquennat par une poussée des plaintes liées aux agressions effectuées dans le cadre familial, elles‐mêmes facilitées par un meilleur accompagnement des femmes victimes de violence. C’est plutôt vrai. Mais beaucoup reste à faire pour diminuer les sous‐déclarations.
En résumé
- Les violences intrafamiliales représentent en fait 70 % de la hausse des violences aux personnes, selon les chiffres du ministère de l’intérieur recompilés par Veracités.
- La libération de la parole des femmes a bien poussé les victimes de violences a davantage porter plainte et à gonfler les statistiques.
- Le quinquennat d’Emmanuel Macron a produit des avancées dans la lutte contre les violences faites aux femmes mais beaucoup reste à faire, notamment dans l’accompagnement des victimes.
Lors du débat du second tour, Emmanuel Macron était attendu au tournant par Marine Le Pen sur le sujet de la sécurité, un thème cher à la candidate du Rassemblement national. Selon elle, le président fait preuve de « laxisme » face à ce qu’elle considère comme un « ensauvagement » de la société : « Il n’est plus possible que dans ce pays, pour un oui ou pour un non, on vous blesse, on vous violente », argue t‑elle assurant que plus personne n’est en sécurité même « dans les campagnes les plus profondes ».
De son côté, Emmanuel Macron a tenté de relativiser la dégradation des statistiques : « Si les chiffres des violences aux personnes augmentent, c’est à plus de 80 % les violences intrafamiliales », a‑t‐il expliqué.
Pour le président candidat, cette hausse serait le signe que sa politique porte ses fruits en matière de lutte contre les violences faites aux femmes :« Il y a eu une fin d’omerta, je suis fier de ça, assure‐il. Nous avons formé des policiers, on a investi, les associations ont fait un travail formidable avec nous, on a mis en place des numéros 24 heures sur 24 ». Résultat : « Ce qui était avant une main‐courante est aujourd’hui un dépôt de plainte », poursuit‐il.
Mais le chiffre avancé par Emmanuel Macron est‐il exact ? Et a‑t‐il raison de l’expliquer par sa politique de lutte contre les violences faites aux femmes ?
Quel est le poids des violences intrafamiliales ?
Pour le savoir, direction le site du ministère de l’Intérieur afin d’y extraire le dernier rapport sur la délinquance publié en janvier 2022. Il propose les statistiques des actes délictueux recensés par les services de police sur la période 2016–2021.
Des homicides aux cambriolages en passant par les violences sexuelles ou les vols de véhicules, le document détaille différents délits selon douze catégories. L’usage et le trafic de stupéfiants sont absents et font l’objet d’une étude à part. Quant aux délits de corruption, ils n’apparaissent tout simplement pas.
Pour vérifier les propos d’Emmanuel Macron, nous avons calculé l’augmentation des « violences aux personnes » entre 2017 et 2021. Si cette catégorie n’existe pas en tant que telle dans le document, il est possible de regrouper les délits impliquant des violences physiques (les homicides, les violences avec coups et blessures, les violences sexuelles, les vols avec arme ou violence). À l’inverse, nous avons écarté les délits n’entraînant pas de violences physiques (les cambriolages ou les vols d’accessoires sur véhicules, par exemple).
Ainsi, depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, le nombre de violences aux personnes a augmenté de 21,5 %, passant de 376 617 en 2017 à 454 126 en 2021, soit une hausse de 81 239. En comparant ce chiffre à la hausse des violences intrafamiliales sur la même période (+ 57 000), on peut estimer que ces dernières sont responsables de 70 % de la hausse des violences aux personnes. Une part non négligeable, donc, mais qui est tout de même inférieure de dix points au pourcentage avancé par le président candidat.
Comme l’a déjà raconté France Info, le chiffre de 80 %, avancé lors du débat par Emmanuel Macron, ne prend en compte qu’une seule catégorie du rapport, celle des « coups et blessures » (+73 100 de 2017 à 2021).
Les violences faites aux femmes, facteur d’explosion des statistiques ?
Cette importante part des violences intrafamiliales dans la croissance générale des violences est‐elle à mettre sur le compte de la libération de la parole des femmes et – indirectement -, au crédit de la politique d’Emmanuel Macron, comme il le laisse entendre ?
« Il est indéniable que la tendance est à la libération de la parole et à la judiciarisation des délits », explique Véronique Le Goaziou, la sociologue et ethnologue spécialiste de la délinquance. Un phénomène qui se retrouve donc dans les statistiques du ministère de l’Intérieur.
Depuis 2019, les actes de violences sexuelles enregistrées ne font qu’augmenter : +12 % cette année‐là, suivie d’une hausse de 3 % en 2020 et de 33 % en 2021. Les victimes sont aussi de plus en plus nombreuses à déclarer des faits anciens commis plus de 5 ans avant leur enregistrement. De +12 % en 2018 , +15 % en 2020, et +19 % en 2021.
« On ne peut pas dire que le gouvernement n’a rien fait sur le sujet. Il y a eu le Grenelle des violences faites aux femmes, l’allongement de la prescription et plus indirectement, le financement des associations, reconnaît Véronique Le Goaziou. Mais en réalité, on avance très doucement. L’accompagnement des victimes est encore quasi inexistant, alors que c’est un sujet primordial. Sinon, beaucoup plus de femmes porteraient plainte ».
Preuve du chemin qu’il reste à parcourir, en 2019, 82 % des victimes de violences conjugales déclaraient ne pas avoir porté plainte, selon les derniers chiffres du site du gouvernement Arrêtons les violences.