Que font les villes pour protéger les femmes victimes de violences pendant le confinement ?

Photo : Melanie Wasser / Unsplash
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Par Pierre Leibovici

Alors que le gouvernement a annoncé des mesures dont la portée est critiquée, des villes comme Nantes ont lancé des actions ambitieuses pour prévenir les violences à domicile.

Diane, lectrice de Mediacités à Lyon, nous a posé cette question sur notre plateforme « Nos villes à l’heure du coronavirus » :

« Est‐ce que des mairies ont lancé des actions pour empêcher les violences conjugales pendant le coronavirus ? Vu que le confinement est susceptible de les augmenter… Mais en même temps est‐ce leur rôle ? »

C’est un drame que redoutent de nombreuses associations : la recrudescence des violences faites aux femmes au cours de la période de confinement. Instaurée mardi 17 mars, l’obligation de rester chez soi est synonyme de danger pour les 219 000 femmes victimes de violences physiques et sexuelles chaque année en France. Car, selon un décompte du ministère de l’Intérieur pour l’année 2018, 83% des morts violentes intervenues dans les couples ont lieu au sein du domicile.

Jeudi 26 mars, dans l’émission « Vous avez la parole » sur France 2 (dont Mediacités est partenaire), le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, déclarait que ses services avaient observé une augmentation des signalements de violences conjugales de +32% en zone gendarmerie et de +36% dans la zone de la préfecture de police de Paris lors de la première semaine de confinement.

Face à ce fléau, le gouvernement a annoncé plusieurs mesures ces derniers jours, dont la plus emblématique – à défaut d’être forcément efficace, comme le soulignent plusieurs associations – reste la possibilité, pour une femme qui aurait subi des violences, de se signaler dans les pharmacies pour être protégée par les forces de l’ordre.

La secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a également annoncé des « points d’accompagnement éphémères » devant les hypermarchés pour accompagner les femmes victimes. Mais le dispositif, mis en place dans seulement six centres commerciaux pour le moment, ne va concerner au total « [qu’]une vingtaine de points dans les prochaines semaines ». Une mesure timide pour celle qui assurait dans un entretien au Parisien, samedi 28 mars : « Mon obsession, c’est de multiplier les points de contact avec les femmes pour ne rien laisser passer ».

Alors qu’en est‐il des récentes initiatives locales, au plus près des femmes ? Et de quelles marges de manoeuvres disposent les mairies et les métropoles pour prévenir ou limiter ces violences sur leur territoire ?

L’expérience Citad’elles à Nantes

Mediacités s’est penché sur le programme Citad’elles, lancé par la ville de Nantes en novembre 2019. Unique en son genre, il s’agit d’un lieu dédié à l’écoute et à l’accompagnement des femmes ayant subi des violences intrafamiliales.

Ouvert sept jours sur sept et 24 heures sur 24, Citad’elles est composé de professionnels et d’associations spécialisés dans la prise en charge de ces cas de violences. Outre les psychologues et infirmières présentes sur place, des policiers ou des gendarmes y recueillent les dépôts de plainte et des juristes conseillent les victimes sur les dispositifs d’aide auxquels elles peuvent recourir. « Le tout, sans multiplier les démarches à effectuer auprès de différents services », explique Aïcha Bassal, adjointe au maire de Nantes. « Chez Citad’elles, une femme victime de violences ne raconte son histoire qu’une seule fois », poursuit‐elle.

L’accueil des victimes dans le lieu s’est poursuivi malgré le confinement. « Nous avons fait ce choix dans le cadre du plan de continuité des activités de la mairie car il était hors de question de laisser des femmes seules sans prise en charge pendant cette période », détaille l’adjointe au maire de Nantes.

Le service d’écoute téléphonique de Citad’elles, qui a été maintenu ces derniers jours, a été particulièrement sollicité par des femmes « en état de stress, qui se demandaient si nous allions fermer le lieu », indique encore Aïcha Bassal. Et, si la proximité du conjoint violent empêche les femmes de téléphoner, le site web du programme présente de manière claire les mesures à prendre, de même qu’il explique comment effacer les traces de sa navigation sur ordinateur ou sur mobile. 

Citad’elles peut vous aider et vous accompagner si vous vous reconnaissez dans l’une de ces situations
Capture d’écran de la page « Être aidée » sur le site web de Citad’elles / Mediacités

« Quand l’État est absent, c’est aux villes d’agir »

Légalement, les communes sont tenues d’agir pour tenter d’endiguer les violences faites aux femmes. Il en va d’abord de leur responsabilité en matière de prévention de la délinquance. Mais aussi de leur mission de « prévention et de protection » instaurée par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Les grandes villes s’engagent ainsi dans plusieurs actions d’information et de prévention sur les violences conjugales tout au long de l’année, comme par exemple des permanences juridiques gratuites pour les femmes victimes dans les mairies de quartier de Lille, ou encore de nombreux événements à Toulouse lors de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, le 25 novembre de chaque année.

Reste que les collectivités assument cette responsabilité à des degrés divers en période de confinement. « Notre objectif prioritaire ces derniers jours, c’est la communication sur les dispositifs de prévention des violences conjugales », relève‐t‐on à la Métropole du Grand Lyon, dont le site a mis en avant les numéros de téléphone à joindre pour obtenir de l’aide. De leur côté, les services municipaux de Lille et de Toulouse n’ont pas donné suite aux questions de Mediacités avant la mise en ligne de cet article.

« C’est un vrai choix politique », assène Aïcha Bassal, à Nantes, qui finance à 80% le budget de fonctionnement de Citad’elles (1,8 million d’euros par an). Comme le relevait Mediacités en novembre 2019, l’initiative nantaise n’a toutefois pas reçu de soutien financier de la part de l’État. Aïcha Bassal confirme que la secrétaire d’État Marlène Schiappa n’a pas donné suite aux sollicitations de la mairie « ne serait‐ce que pour échanger sur notre projet. Alors, quand l’État est absent, c’est aux villes d’agir ».

Quatre mois après le lancement du programme, il est encore trop tôt pour évaluer son efficacité sur le territoire nantais. La ville précise cependant que 450 femmes ont déjà été reçues sur place pour demander de l’aide. Plusieurs communes françaises ont également pris contact avec les responsables de Citad’elles pour en apprendre plus sur la mise en place du projet – qui a demandé près de quatre ans – et s’en inspirer. Parmi elles, la ville du Mans (Sarthe), dont l’ancienne adjointe déléguée à l’Égalité n’est autre que… Marlène Schiappa.

Pierre Leibovici

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